Tout ne va pas si mal, au Québec, et savez-vous où ça va vraiment, vraiment bien ?

Sur nos routes.

Ce n’est pas une blague : les Québécois conduisent de plus en plus prudemment, nous nous tuons et nous nous blessons de moins en moins sur nos routes.

Chaque année, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) fait son bilan routier annuel. Pour 2018, on déplorait 1723 accidents de moins qu’en 2017, pour 359 morts (362 l’année précédente). Le taux de mortalité routière en 2018 était de 4,3 par 100 000 habitants.

Ça semble abstrait, dit comme ça : 4,3 morts par 100 000 habitants. Mais il y a dix ans, notre bilan routier était de… 9 par 100 000 habitants ! C’est un succès incroyable, le mot n’est pas trop fort.

Pendant quelques années, j’ai beaucoup écrit sur la sécurité routière. J’ai commencé alors que j’étais au Journal de Montréal. J’étais scandalisé par ce bilan routier qui était à des années-lumière de celui d’États jugés exemplaires comme la Suède, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne.

C’est Richard Bergeron, alors chef de Projet Montréal, urbaniste de métier, qui m’avait ouvert les yeux. M. Bergeron avait écrit deux livres sur l’automobile (Le livre noir de l’automobile et Les Québécois au volant c’est mortel), dans lesquels il décortiquait les mœurs routières québécoises.

Dans Les Québécois au volant c’est mortel, M. Bergeron avait trouvé une formule-choc qui faisait réfléchir : en négligeant de prendre la sécurité routière au sérieux, le Québec payait une « prime à la mortalité routière » de 200 morts et 19 000 blessés. Cette « prime », c’était la différence chiffrée entre le bilan québécois et celui des meilleurs pays.

« Ce qui a changé depuis la publication de mon livre Les Québécois au volant c’est mortel en 2005, me disait-il en entrevue récemment, c’est que les perceptions ont complètement changé. L’accident vu comme une fatalité, ce n’est plus vu comme ça. Quand j’ai écrit Le livre noir de l’automobile en 1999, j’étais motivé par le carnage qui avait lieu sur les routes du Québec… »

Carnage ? En 1973, le Québec a connu son pire bilan routier : 2209 morts, soit 36,3 par 100 000 habitants, dans un contexte où il y avait trois fois moins de véhicules immatriculés qu’aujourd’hui (6,6 millions, en 2018).

« Nous sommes désormais à 4,3 morts par 100 000 habitants, parmi les meilleurs au monde », constate Richard Bergeron.

Ça ne veut pas dire que la bêtise a disparu de nos routes, mais il y en a moins.

Richard Bergeron, urbaniste et ex-chef de Projet Montréal

Honnêtement, quand j’ai commencé à écrire sur la mortalité routière au Québec, dans les années 2000, je n’aurais jamais cru une telle amélioration possible. Elle est venue, je crois, d’une volonté politique d’améliorer le bilan routier, dans les années Charest. Cette volonté s’est manifestée par les travaux de la Table de concertation sur la sécurité routière, menée par le mathématicien Jean-Marie De Koninck.

La Table a introduit tout un tas de mesures sur nos routes (comme les radars photo), qui ont eu pour effet de les pacifier. Le professeur De Koninck lui-même a également joué un rôle important de pédagogue pour la sécurité routière pendant ses dix années à la tête de la Table, faisant des appels de phares à répétition aux Québécois au sujet de la sécurité routière, sur un ton sympathique et conciliant.

En 2019, nos routes se sont pacifiées, si on se compare à notre propre bilan des dernières décennies… et si on se compare aux meilleurs de classe que sont la Suède (2,6), la Grande-Bretagne (2,8) et les Pays-Bas (3,7).

L’Ontario, la meilleure province canadienne, est à 3,8 morts par 100 000 habitants. En guise de comparaison, le bilan routier des États-Unis est catastrophique : 11,4 morts par 100 000 habitants en 2017.

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Si nos routes se sont pacifiées, tout n’est pas parfait. Le bilan de mortalité routière des piétons (notamment chez les aînés) et des cyclistes québécois est inquiétant. Aussi, les jeunes automobilistes semblent plus nombreux à être réticents à porter leur ceinture de sécurité, un outil d’une formidable efficacité contre la mort ou les longs séjours à l’hôpital.

Quelle est la prochaine étape pour améliorer encore plus le bilan routier québécois ?

L’aménagement du réseau pour limiter les risques d’accident est capital. En entrevue avec La Presse canadienne récemment, la PDG de la SAAQ, Nathalie Tremblay, a évoqué l’aménagement des routes, en donnant l’exemple de la Suède, première de classe mondiale en sécurité automobile. Je cite Mme Tremblay : « En Suède, la plupart des routes sont séparées par un muret, que ce soit une autoroute ou une route secondaire. »

Les gens de l’Outaouais et des Laurentides sont certainement d’accord avec la patronne de la SAAQ : l’autoroute 50, qui relie Mirabel à Gatineau, comporte plusieurs tronçons où les deux voies sont contiguës, sans séparation physique. Résultat : la 50 est dangereuse, en raison de son aménagement. Mardi, le chroniqueur du Droit Denis Gratton, dénonçant un autre mort par face à face sur cette route, s’est fendu d’un texte au titre qui dit tout : « Assez, c’est assez »…

Autre avenue pour améliorer le bilan routier ? S’attaquer à la limite tolérée d’alcool dans le sang, qui fait l’objet d’un laxisme à peu près inégalé au Québec. Le Code criminel (fédéral) sanctionne la conduite en état d’ébriété au-delà de 0,08 (80 mg/100 ml de sang), mais la plupart des provinces envoient le signal qu’au-delà de 0,05, c’est dangereux : les automobilistes encourent des mesures administratives comme la suspension temporaire du permis et des amendes.

Mais pas au Québec.

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Richard Bergeron, lui, mesure le chemin parcouru. Il est un peu ahuri. Jamais il n’aurait cru à une telle amélioration du bilan routier, quand il a écrit ses livres. L’ex-chef de Projet Montréal croit qu’un jour le Québec ne sera plus dans une zone à quelque 300 morts par année sur les routes, mais bien à… 30 morts !

« Ça va passer par les voitures autonomes, qui vont arriver d’ici 10, 15 ans. Elles n’arriveront pas partout en même temps, bien sûr. Mais c’est inévitable. Et au Québec, au Canada, on sera parmi les premiers. On va réduire la mortalité routière par un facteur de dix, j’en suis certain. Je vous parle de 2040, bien sûr. En 2050, 2060, les gens vont regarder notre époque et ils seront horrifiés de voir que nous avons jadis toléré autant de morts sur les routes… »

Bien sûr, on peut dire que Richard Bergeron est un rêveur. On disait aussi qu’il rêvait en couleurs quand il espérait un meilleur bilan routier, au Québec, en 2005.