(Vancouver) Sur l’avenue Matthews, les deux maisons sont presque voisines. Dans l’une, Meng Wanzhou, la numéro 2 du géant Huawei. Dans l’autre, le consul des États-Unis, drapeau américain flottant devant la maison.

Le conflit entre les deux superpuissances mondiales entre lesquelles le Canada est coincé s’observe à petite échelle dans le quartier cossu de Vancouver où Mme Meng est en liberté sous caution, bracelet électronique à la cheville. La prisonnière la plus encombrante de l’histoire canadienne récente.

Ottawa a mis le doigt entre le marteau et l’enclume quand il a arrêté la femme d’affaires en décembre dernier, à la demande de Washington, qui veut l’accuser de fraude et de vol de technologies.

Les relations entre le Canada et la Chine ont aussitôt tourné au vinaigre et se trouvent maintenant « au fond du baril », « près du point de congélation », selon l’ambassadeur de Chine au Canada.

Deux ressortissants canadiens ont été rapidement arrêtés en Chine et croupissent depuis en prison, alors que les ports chinois se refermaient sur des cargaisons de soja et de canola en provenance des Prairies.

Long processus

À moins d’un retournement, la situation ne s’améliorera pas de sitôt. Hier en matinée, dans une grande salle d’audience de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, la juge Heather Holmes a approuvé une feuille de route qui prévoit des procédures d’extradition étalées sur 20 mois.

« Le processus devrait prendre fin en octobre 2020 », a dit la juge du haut de l’estrade où elle siège, à la fin d’une audience où défense et Couronne ont débattu pendant plus de deux heures de l’échéancier à adopter.

Cette date butoir peut être reportée et le calendrier ne comprend ni de possibles appels ni même de période de réflexion de la juge.

En tenant compte de toutes les contestations annoncées par la défense, il s’agit d’un calendrier relativement serré, « la nature et les circonstances de ce dossier » justifiant des procédures « expéditives tout en étant adéquates », a dit la juge Holmes. Un peu plus tôt, la défense avait fait valoir qu’il était dans « l’intérêt national que cette situation soit réglée aussi vite que possible ».

Mme Meng avait été autorisée à ne pas comparaître, mais un groupe de Chinois s’étaient présentés « pour l’appuyer ». Ils ne voulaient toutefois ni s’identifier ni discuter avec les journalistes présents.

« Je suis inquiète », a affirmé une avocate chinoise, tailleur marine, qui n’a voulu donner que l’un de ses noms (Chen) et ne faisait pas partie du groupe. « À mon avis, c’est une affaire politique, pas une affaire criminelle. Mais je fais confiance au système de justice canadien. »

Silence dans Shaughnessy

Les voisins de Mme Meng dans le quartier Shaughnessy, un petit Westmount vancouvérois, tentaient eux aussi de ne pas être associés à l’affaire.

Devant la belle maison de briques et de crépis aux immenses fenêtres (valeur : 13 millions), des ouvriers remaniaient l’aménagement paysager. Des gardiens de sécurité les observaient, sous une petite tente montée pour se protéger du soleil, un immense Chevrolet Tahoe noir devant la porte, prêt à partir. Tous avaient reçu l’ordre de tenir leur langue.

PHOTO JONATHAN HAYWARD, LA PRESSE CANADIENNE

La maison qu’habite Meng Wanzhou, numéro 2 de Huawei, en attendant la suite du processus judiciaire.

Meng Wanzhou, 47 ans, n’a pas donné signe de vie, mais une adolescente parlait au téléphone devant la maison, casquette sur la tête et coton ouaté sur les épaules. La femme d’affaires et sa famille ont habité quelques années à Vancouver, où deux de ses quatre enfants sont allés à l’école et où son conjoint a obtenu une maîtrise, il y a quelques années. Elle a affirmé qu’elle revenait chaque été dans la ville.

« Je ne l’ai pas rencontrée et je ne l’ai pas vue », a indiqué sa voisine d’en face, refusant de s’identifier. « Avec le consulat des États-Unis, nous sommes habitués à voir plein de policiers dans la rue depuis le 11-Septembre », a expliqué une autre voisine, sortant d’une Audi rutilante.

Seul le vice-président aux affaires publiques de Huawei était ravi de prendre position publiquement dans ce dossier délicat. Flanqué de trois employés anonymes dans une salle de réunion d’un hôtel du centre-ville, Benjamin Howes a vilipendé Ottawa pour son rôle dans l’arrestation.

« Elle devrait être libérée immédiatement », a-t-il dit, en faisant la liste des arguments qu’utiliseront les avocats de Mme Meng devant la justice.

« La campagne des États-Unis contre Huawei et les commentaires du président américain montrent que des motivations politiques et financières sont derrière ce processus, plutôt que le respect de l’État de droit. » — Benjamin Howes, vice-président aux affaires publiques de Huawei

Huawei déplore aussi que lors de son arrestation à l’aéroport de Vancouver, la femme d’affaires ait été « maltraitée », puisque les agents frontaliers l’ont fouillée et ont saisi des appareils électroniques sur elle, « en violation de la Constitution canadienne ».

Mme Meng est la fille de Ren Zhengfei, fondateur de Huawei. Elle en est la vice-PDG et directrice financière. L’entreprise est le deuxième fabricant de téléphones intelligents de la planète, derrière la société coréenne Samsung. Plusieurs pays occidentaux ont dénoncé les liens qui l’unissent à Pékin et la possibilité que le renseignement chinois puisse avoir accès à des informations sensibles stockées ou transmises par de l’équipement de Huawei.