(Courseulles-Sur-Mer) Joseph Edwardson n’a pu retenir ses larmes. Il y a exactement 75 ans, lui et des milliers d’autres jeunes Canadiens débarquaient sur cette plage du nord de la France pour amorcer la libération tant attendue de l’Europe, alors sous la botte nazie. Beaucoup de ces hommes ne reviendront jamais.

« C’est difficile de penser à eux », laisse tomber M. Edwardson, aujourd’hui âgé de 95 ans, alors qu’il se tient près de l’endroit où il a émergé de la mer, au « jour J », face à des tirs allemands de mitrailleuses et d’artillerie.

Joseph Edwardson faisait partie jeudi de cette poignée d’anciens combattants du débarquement de Normandie revenus sur le littoral appelé aujourd’hui « Juno Beach », à l’occasion du 75e anniversaire de ce moment charnière de la Seconde Guerre mondiale — et le début de la fin pour l’Allemagne nazie.

Des milliers de Canadiens de tous âges se sont joints à ces valeureux vétérans pour honorer le courage et le sacrifice d’hommes comme Joseph Edwardson. De jeunes hommes de Trois-Rivières, de Red Deer ou de Glace Bay qui se sont retrouvés côte à côte en Europe pour lutter contre la tyrannie.

Deux cérémonies avaient lieu jeudi à Juno Beach : la première était entièrement canadienne, tandis que la seconde comprenait des représentants de plus d’une douzaine de pays ayant joué un rôle le jour J.

« Bien que ce soit loin d’être parfait, chaque génération s’est efforcée depuis de s’appuyer sur ce qui avait commencé il y a plus de 75 ans », a déclaré le premier ministre Justin Trudeau aux anciens combattants, dignitaires et observateurs réunis au cours de la cérémonie internationale française, à laquelle ont assisté notamment le premier ministre français, Édouard Philippe, et Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis.

« Pour le Canada, cela signifie de rester aux côtés de ceux qui luttent pour la justice, la démocratie et l’égalité dans le monde entier — comme nos hommes le faisaient autrefois à Juno Beach. Tout comme nos hommes et nos femmes en uniforme dans le monde entier continuent de le faire depuis ce jour. »

Quatorze mille soldats canadiens ont débarqué sur les côtes françaises en ce jour J afin de briser le « mur de l’Atlantique ». Pour plusieurs d’entre eux, ce sera un baptême du feu. Et pour certains, ce sera aussi l’ultime combat. Même trois quarts de siècle plus tard, les quelques anciens combattants encore en vie continuent de souffrir — en particulier lorsqu’ils visitent la plage et les cimetières où sont enterrés leurs frères d’armes.

« Avant, ça n’était pas difficile : quand on est jeune, on y pense moins », a déclaré Art Boon, qui était dans la première vague d’artillerie à débarquer à Juno Beach le jour J. « Mais quand tu vieillis, tu penses à toutes les années qu’ils ont perdues […] et qu’ils n’étaient pas là pour profiter de la liberté qu’ils ont contribué à obtenir. »

Tout un contraste

Contrairement à il y a 75 ans, lorsque les soldats canadiens, britanniques et américains étaient forcés de braver des vagues déchaînées ainsi que des tirs de mitrailleuses alors qu’ils luttaient pour atteindre la terre ferme, le temps, jeudi, était calme, presque bienveillant. Une brise fraîche empreinte d’effluves marins flottait sous un ciel couvert de nuages blancs.

À bien des égards, en fait, la cérémonie contrastait avec cette terrible journée du 6 juin 1944. La musique et les discours ont remplacé le bruit assourdissant des coups de feu, des explosions et des cris de douleur. En mer, au large de Juno Beach, une seule frégate canadienne, le NCSM St. John’s, mouillait en silence, là où jadis des centaines de cuirassés, de contre-torpilleurs et de péniches de débarquement pilonnaient le rivage et déversaient les soldats dans l’enfer des plages normandes.

Et il y avait aussi des jeunes, des centaines, dont beaucoup de cadets et de membres des Forces canadiennes en service, rappelant que les anciens combattants de la première ligne n’étaient pas toujours des hommes âgés — plusieurs sortaient à peine de l’adolescence. Certains de ces militaires d’aujourd’hui se tenaient jeudi sur les dunes pendant la cérémonie, qui a duré 90 minutes, la tête penchée, là où leurs ancêtres se sont battus et sont morts.

Dans son allocution pendant la cérémonie canadienne, le premier ministre Trudeau a souligné les objectifs communs qui réunissaient les Canadiens d’un océan à l’autre en ce jour J, ainsi que l’exemplarité de leurs gestes durant cette sanglante journée — au cours de laquelle 359 Canadiens ont été tués et 715 autres blessés ou capturés.

« Nous les remercions non seulement pour leur sacrifice, mais pour l’exemple qu’ils nous donnent », a déclaré M. Trudeau. « Pour nous enseigner la valeur du service. Pour nous montrer le véritable sens de l’honneur. Nous les remercions de nous avoir laissé un monde meilleur que celui dont ils avaient hérité. »

Le premier ministre français, Édouard Philippe, a déclaré que le jour J renforçait l’amitié durable entre le Canada et la France, qui perdure aujourd’hui face aux défis contemporains tels que Daech et le changement climatique.

Pour beaucoup d’anciens combattants, il s’agit forcément d’une dernière grande commémoration du jour J. Presque toutes les personnes interrogées ont souligné l’importance, pour les générations futures, de se souvenir et de comprendre ce qui s’est passé il y a 75 ans. Et tandis que certains parlaient de l’importance de lutter pour ses idéaux et ses principes, ils espéraient aussi qu’un jour viendrait où la paix régnera.

« Il y avait la guerre avant les temps bibliques — même les hommes des cavernes se battaient entre eux », a déclaré William Tymchuk, âgé de 98 ans. « C’est dans la nature humaine de se battre. Je pense qu’un jour on en tirera des leçons. Mais je ne sais pas quand. »