Hausse de la discrimination, de la détresse psychologique, des crimes haineux : le projet de loi sur la laïcité comporte des « risques non négligeables » sur la santé publique, avancent des experts, données à l’appui.  

Des chercheurs en sciences humaines, sociales et médicales appartenant à l’Institut universitaire SHERPA, qui fait partie du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, et l’équipe de Recherche et Action sur les Polarisations Sociales (RAPS) se sont penchés sur les risques et bénéfices sur la santé publique de la future loi.  

« Notre but n’était pas de trancher pour ou contre, mais de se demander : qu’en est-il sur le plan des recherches ? » explique la Dre Cécile Rousseau, chercheuse pour SHERPA et professeure à la division de psychiatrie sociale et transculturelle de l'Université McGill.

Les chercheurs n’en ont trouvé aucune sur les effets positifs des débats sur les symboles religieux – précisant qu’il ne s’agissait pas de réfuter l’existence de bénéfices, mais invitant le gouvernement à s’y pencher.  

Ils ont colligé les études réalisées au Québec entre 1990 et 2019, de façon non exhaustive, compte tenu de l’urgence, précisent-ils ; le groupe aurait aimé présenter ses conclusions en commission parlementaire, mais n’a pas pu.  

Un Québec secoué

Ce qui ressort de l’analyse, c’est un Québec secoué par les débats autour des accommodements raisonnables et de la charte des valeurs. La violence entre différents groupes ethniques ou religieux a augmenté dans les cours d’école entre 2013 et 2017 ; la discrimination perçue par les Québécois d’origine arabe ou haïtienne a doublé entre 1998 et 2007 ; les crimes haineux étaient en hausse, selon les études citées. Le tout associé à de la détresse, de la dépression et un climat social tendu.

Le Québec s’inscrit dans un courant mondial, où les adeptes des réseaux sociaux n’hésitent pas à diffuser des idées radicales, voire racistes. « On l’a vu avec l’effet Trump, note la professeure au département d'éducation et de formation spécialisées à l'UQAM Maryse Potvin, qui a aussi participé à l’analyse. Comment le fait d’élire un parti ou un leader politique ayant un type de discours peut avoir des effets sur la libération de la parole, un peu plus radicale ou un peu plus extrémiste. »

Selon Mme Potvin, des groupuscules extrémistes ont ainsi réussi à lancer leurs messages dans la sphère publique, ralliant une partie de la population et meublant un certain « vide politique ».

La Dre Rousseau qualifie carrément le contexte mondial de « pré-conflit », établissant des parallèles avec les années 30. « Ce n’est pas le vieux débat du Québec qui revient toujours, juge-t-elle. Il y a une montée du populisme dans le monde. Les discours haineux sont légitimés. Ce que ça nous dit, c’est que le contexte est très sensible. Il y a des questions identitaires sensibles, chargées, et ça peut mener à plus de détresse, plus de violence. »

Une idée partagée par Mme Potvin. « On ressent un peu les mêmes formes d’actions, de propagandes, de fake news » que dans les années 30, note-t-elle, blâmant aussi des médias d’avoir contribué au climat.

Exclusion

André Jacob, professeur retraité de l’UQAM, est aujourd’hui consultant sur la gestion de la diversité. Il n’a pas participé à l’analyse, mais a beaucoup étudié le sujet. Ce partisan de la laïcité de l’État, mais pas du projet de loi actuel, dit constater du racisme et de l’intolérance, parfois sous une forme moins ouverte. « Je vais dans une usine, j’écoute les discours, illustre-t-il. Souvent, c’est dit à la blague, il y a quelqu’un qui va lancer : “attention, Untel a peut-être une bombe dans sa boîte à lunch”. C’est une forme de harcèlement souvent plus subtil. » Il ne juge pas le projet de loi raciste, mais ajoute qu’il peut porter à une forme d’exclusion sociale.

Sabine Choquet, chercheuse au Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) à l’UQAM et chercheuse associée à l’Observatoire des radicalisations, juge le débat actuel « nécessaire ». « Ce type de moment canalise les tensions, mais on ne peut pas dire que le Québec s’est radicalisé », nuance-t-elle.

Elle note que 15 années après l’adoption de la loi sur les symboles religieux en France, beaucoup plus large qu’au Québec, l’interdiction a été intégrée, même si elle estime que le sentiment d’appartenance est fortement lié au fait que les gens se sentent représentés dans la sphère publique.

Les chercheurs de l’analyse de SHERPA et RAPS recommandent au gouvernement de mener des études supplémentaires ciblées avant l’adoption du projet de loi. Ou, à tout le moins, de suivre ses répercussions pour les mitiger.