Le dimanche 18 novembre dernier, il fait beau et froid à Paris. Le soleil fait briller tous les monuments. Mon grand ami André-Philippe et moi, on décide d’aller montrer Notre-Dame à mon indispensable adjointe Camille. Pourquoi ? Parce qu’à quoi ça sert d’être à Paris si on ne remonte pas le cours du temps ? La richesse d’un lieu, c’est d’avoir été là avant. Avant nous. Et avant beaucoup de gens avant nous.

Dès qu’on arrive dans l’île de la Cité, on change d’époque. Ce n’est plus Paris, c’est Lutèce. Tous les bâtiments, le long du chemin, sont anciens et discrets. Ils servent d’écrin au joyau en son centre : la cathédrale Notre-Dame de Paris. Immense et imposante. Tellement imposante que les touristes ont de la difficulté à la prendre au complet dans leurs selfies. Faut reculer, faut reculer. Il faut se faire petit. Sur le parvis de l’église, la rumeur des gens est moins bruyante que devant la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe. Comme si même dehors, on se sentait déjà dedans. Comme si les deux tours nous impressionnaient tant qu’on baissait le ton en signe de respect.

On contemple le temple. Nos yeux ne s’en décrochent pas. Comme si on attendait que quelque chose se produise, mais au fond, c’est tout le contraire qui nous fascine. C’est l’immobilisme de la demeure. Pas de lumières qui scintillent, pas d’enseigne qui clignote, pas d’écran géant, pas de rayons laser. Seulement une structure immense qui est là pour rester, depuis près d’un millier d’années. La tête levée, on regarde le ciel qui semble y être accroché.

Camille et moi, on entre, pendant qu’André-Philippe visite les alentours. Il fait si clair dehors que dedans tout semble noir. Notre regard doit ajuster son contraste. Les vitraux diffusent le soleil. Après quelques secondes, on découvre les trésors. Toutes ces œuvres d’art au mètre carré. C’est comme un musée. Sauf qu’il y a une différence. Un musée, c’est un endroit public. On y défile. Allègrement. Ici, on a l’impression d’être chez quelqu’un. On avance lentement. Ce qui bouleverse encore plus que les statues, les gravures, les couronnes et les vitraux, c’est l’espace. C’est la hauteur. La grandeur. C’est l’invisible. Ça fait un peu peur. Comme si on risquait de profaner un endroit sacré. Comme si on n’était pas certain d’avoir le droit d’y être. Normalement, on se sacre tellement du sacré. On l’a tellement éliminé de notre environnement que d’être soudain en plein dedans, c’est déstabilisant.

On a beau être des centaines de visiteurs en même temps, on se retrouve seul. Seul face au divin.

On sent dans l’air ambiant flotter des prières. Les prières des millions de gens passées par ici. Combien d’exaucées ? Combien de perdues ? Que l’on soit croyant ou pas, on fait la nôtre, en se disant que ça ne peut pas nuire.

On sort de l’enceinte. Le soleil nous éblouit. André-Philippe nous sourit : « C’est beau, han ? » Mais pas beau comme on y est habitué. Pas beau apaisant. Beau comme en haut d’une montagne. Quand la beauté de la vue se mêle à la peur de tomber. Beau comme un ciel étoilé. Quand la vue des étoiles nous fait réaliser qu’on est si peu de chose.

Notre-Dame de Paris est un monument à la volonté des humains de vouloir rester. À l’acceptation de la mort, mais au refus de l’oubli. Ils ont bâti cette cathédrale pour qu’on se souvienne d’eux.

Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Si on allait au Trocadéro…

Lundi dernier, Camille et moi, on est en train de luncher. Sur nos portables, on regarde Notre-Dame brûler, consternés. Le cœur serré. Cette pierre que l’humanité avait laissée sur la route du temps, pour se rappeler par où passer, pour retrouver le chemin de ceux qui nous ont précédés, est en train de s’effacer. Heureusement, les courageux pompiers l’ont sauvée. Avant la catastrophe totale. La dame ne sera plus jamais la même. Le temps laisse sa marque même sur l’éternité.

La cathédrale attirera encore plus de visiteurs. Il n’y a rien comme la peur de perdre pour ranimer la ferveur. Pas la ferveur du fidèle. La ferveur du touriste. Qui durant un moment se remplit d’un endroit, avant de passer au suivant. Durant des siècles, cette cathédrale a guidé la vie de millions de croyants. Maintenant, elle n’est qu’un arrêt pour des millions de passants. Le temps d’une photo, d’un vœu, d’une impression.

Mais à voir l’émoi planétaire causé par sa flèche en flammes, il faut croire que tous les touristes qui passent par là y ont laissé quelque chose. Une émotion que peu d’endroits savent provoquer. Et c’est la peur de ne plus jamais la retrouver qui nous a tant remués, cette semaine.

Au temps des cathédrales, il y avait trop de sacré. Des hommes s’en sont servis pour dominer, pour condamner, pour tuer. Au temps des cellulaires, il faudrait quand même qu’il en reste un tout petit peu. Pas pour l’imposer aux autres. Juste entre nous et nous. Pour qu’existe encore quelque chose, quand on ferme les yeux.

Joyeuses Pâques !

Même si on est des touristes dans les cathédrales, on est tous les résidants de notre âme. Que l’on croie ou non en Dieu, il faut croire en la vie. Bon appétit !