Pour accompagner la célérité avec laquelle on procède pour redonner vie à Notre-Dame (bravo, les Français !), il y a une question qui habite tous les spécialistes de l’architecture et de l’histoire. Doit-on reconstruire la cathédrale Notre-Dame de Paris à l’identique ou pas ?

Démêlons d’abord deux aspects. Voulons-nous respecter les techniques de construction et les matériaux qui avaient été utilisés il y a 800 ans pour rebâtir la charpente et une partie des voûtes ? Rappelons que l’armature (qui n’était pas visible pour les visiteurs) était faite de centaines de poutres taillées à même des arbres vieux de plusieurs siècles. Ou voulons-nous redonner son allure d’origine à Notre-Dame ?

Pour de nombreux experts consultés en Europe par les médias français, une reconstruction avec des matériaux et des techniques d’époque est possible, mais non recommandée. La majorité suggère de construire une charpente en métal à l’épreuve du feu.

Hervé Cazelles, un architecte du patrimoine qui a participé à plusieurs chantiers de reconstruction de bâtiments historiques en Europe, a été interviewé par France 24. Selon lui, utiliser des matériaux et des techniques inspirés du XIIe siècle étirerait le chantier et priverait le public de ce monument pendant une trop longue période.

Il touche un aspect important, car on ne peut évidemment pas écarter certaines considérations bassement commerciales ou marketing. Une trop longue fermeture de Notre-Dame serait néfaste pour Paris. On se rend dans cette ville, entre autres, pour voir ce lieu.

Mais bon, imaginons qu’on se prête au jeu des puristes. Qu’est-ce que cela procurerait de plus d’avoir recours aux techniques d’assemblage de l’époque ? 

Il s’en trouverait toujours quelques-uns pour dire que les poutres utilisées ne sont pas « la forêt » qui se trouvait auparavant dans la charpente de Notre-Dame. Comment peut-on remplacer dans l’imaginaire du public du bois qui a vu naître Charlemagne ?

Pour Tania Martin, professeure à l’École d’architecture de l’Université Laval, cette opération revêt un caractère « très complexe » qui englobe une foule de considérations (économiques, environnementales, patrimoniales, spirituelles, etc.). « Notre-Dame est faite de plusieurs couches. On a perdu une couche. On ne pourra plus jamais la retrouver. Il faut d’abord faire notre deuil de cela. »

Interviewé sur Europe 1, Benjamin Mouton, architecte en chef de Notre-Dame de Paris, a dit que l’important était de redonner à la cathédrale « la même silhouette ». C’est aussi le point de vue de l’historien spécialiste de l’architecture gothique Jean-Sébastien Sauvé, dont la présence lundi soir sur le plateau de l’émission 24/60 fut très précieuse. Ce passionné veut toutefois éviter une approche « à la Disney ».

« Je pense qu’il faut réfléchir à des matériaux coupe-feu, mais qu’il faut préserver l’allure originale de la cathédrale », pense-t-il. Jean-Sébastien Sauvé trouve par ailleurs fascinant ce débat, car il nous force à avoir une réflexion sur l’authenticité. « Qu’est-ce qui est authentique, au fond ? »

L’autre aspect, et c’est sans doute celui qui mettra le feu aux débats des prochains mois, est la reconstruction (ou non) de la fameuse flèche qui, avec les deux tours frontales, était le symbole de Notre-Dame. La flèche s’est écroulée. On a retrouvé mardi le coq qui la surplombait, mais pour le reste, elle est en cendres. Doit-on la refaire à l’identique ?

Même si l’architecte Eugène Viollet-le-Duc s’était inspiré du style gothique d’origine (XIIe siècle) pour sa création, il reste qu’il s’agit d’un ajout datant du XIXe siècle. Devrait-on refaire cette flèche ? Ne pas la remplacer ? Ou ériger en lieu et place un élément qui témoignerait du XXIe siècle ?

Citant de nombreux exemples de monuments anciens qui ont été restaurés au cours des dernières décennies (cathédrales de Reims, de Chartres, de Strasbourg, de Nantes, etc.), de nombreux spécialistes croient que la flèche devrait être reconstruite.

De mon côté, je penche très franchement du côté de la voie d’une nouvelle réalisation architecturale qui remplacerait la célèbre flèche ou qui enrichirait la cathédrale. Cela fait partie de l’histoire de Paris (la pyramide du Louvre, les colonnes de Buren du Palais-Royal, etc.). L’histoire est faite de ce qui est et de ce qui n’est plus. L’histoire se matérialise dans le passé, mais trouve sa respiration dans le temps actuel.

Comme la cathédrale Notre-Dame de Paris risque fort bien de retrouver son allure d’origine à environ 90 %, il serait bien que des créateurs contemporains y aillent d’une contribution pour l’inscrire dans notre époque.

Qu’on le veuille ou non, l’incendie de lundi soir fait dorénavant partie du parcours de ce monument.

Pour l’heure, de nombreuses étapes doivent être franchies. Il faut d’abord sécuriser les lieux, procéder à un examen sérieux (pierre par pierre) de la maçonnerie, des vitraux et des revêtements du sol, mettre en place des mesures pour éviter toute dégradation supplémentaire. Tout cela prendra des mois.

Les prochaines semaines seront riches en discussions de toutes sortes. Celles-ci ont commencé dès l’extinction des dernières flammes lundi soir et ne sont pas près de s’arrêter. Hier matin, en allant chercher mon café chez Generoso, mon barista préféré, j’ai eu une discussion enflammée avec lui.

Generoso est d’origine italienne. Du haut de sa fringante vingtaine, il a une opinion sur tout. J’aime discuter avec lui. Pendant qu’il prépare mon cappuccino, il règle le sort de trois ou quatre sujets. Hier, il m’a dit ce qu’il ferait de la cathédrale Notre-Dame.

« On nettoie tout ça et on laisse ça tel quel ! Avec le trou au plafond. Il faut laisser le trou ! On fait comme pour le Colisée à Rome. C’est ça, l’histoire. »

Generoso, laisse tomber le cappuccino ce matin ! Je vais prendre un double espresso !