Alors que le Grand Nord québécois est ébranlé par une vague de suicides, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) locale est écorchée par l'enquête sur la mort d'une adolescente de 14 ans.

Rhoda Tunu Parr a mis fin à ses jours l'an dernier, mais les graves dysfonctionnements des services sociaux mis en lumière par son suicide pourraient intéresser ceux qui cherchent à endiguer la crise actuelle.

Victime d'agressions sexuelles pendant plusieurs années, la jeune fille n'a jamais eu droit à l'évaluation psychologique pourtant ordonnée par un juge en mai 2015 lorsque la DPJ l'a placée en famille d'accueil. C'est ce que révèle le coroner Éric Lépine dans son rapport sur sa mort, survenue en juin 2017 dans le village de Salluit.

«Peut-être que ça aurait pu donner une intervention plus ciblée, qu'elle aurait pu avoir de l'aide», a souligné le coroner en entrevue téléphonique. Il a ajouté que Rhoda Tunu Parr avait vécu «beaucoup d'instabilité» pendant ses deux dernières années de vie.

En outre, le dossier de l'adolescente a été délaissé par la DPJ locale pendant les trois semaines qui ont précédé sa mort : aucun intervenant n'y était assigné, a déterminé Me Lépine, qui parle de «suivi inégal». 

Même faille pendant deux mois en début d'année 2017, alors qu'elle venait pourtant de tenir des propos suicidaires.

Le coroner a recommandé à la Commission des droits de la personne de se pencher sur cette situation. Celle-ci a refusé d'indiquer à La Presse si elle avait ouvert une enquête.

Mea culpa

La Régie régionale de la santé et des services sociaux, qui chapeaute la DPJ au Nunavik, a reconnu que des erreurs avaient été commises dans le dossier de Rhoda Tunu Parr.

«C'est un manquement inacceptable et profondément regrettable de la part du réseau de la santé et des services sociaux du Nunavik», a indiqué l'adjoint à la directrice générale de l'organisme, Fabien Pernet.

«Immédiatement après la réception du rapport, la direction générale de la Régie régionale a demandé [aux services de santé de la côte de la baie d'Hudson] de tout mettre en place pour que cette situation ne se reproduise plus et d'offrir sa pleine collaboration à la Commission des droits de la personne, a continué M. Pernet. Le respect des ordonnances de la cour n'est évidemment pas sujet à discussion, et les raisons de ce manquement doivent encore être évaluées [par la Commission].»

Dans son rapport, le coroner Lépine souligne avoir discuté avec des travailleurs des services sociaux qui dénonçaient le fait que «les ressources humaines en intervention demeurent nettement insuffisantes à Salluit et dans les autres communautés inuites de la baie d'Hudson». Les graves problèmes de l'appareil de protection de la jeunesse ont fait l'objet de plusieurs rapports depuis 10 ans.

La commission déjà alertée

Ce n'est pas la première fois que la Commission des droits de la personne reçoit le dossier de la jeune Rhoda Tunu Parr. La Cour du Québec - qui devait réviser la situation de l'enfant un an après son premier placement - avait déjà demandé à la Commission de faire enquête parce que celle-ci avait changé de famille d'accueil sans l'assentiment de la DPJ.

La juge Denyse Leduc s'était étonnée du manque de suivi au sein des services sociaux. «Il est surprenant de réaliser que la Direction de la protection de la jeunesse ne soit pas au courant [d'un changement de milieu de vie] alors que [sa] situation lui est confiée», a-t-elle écrit à l'été 2016. 

La juge Leduc a aussi ordonné que l'enfant obtienne de «l'aide, de l'accompagnement et de l'assistance». L'adolescente s'est tuée 10 mois plus tard.

Il n'a pas été possible de rejoindre sa famille.

Les services de santé et les autorités scolaires du Nunavik ont tenu des réunions d'urgence dans les dernières semaines face à la multiplication des suicides dans la région.

Au moins 10 résidants du village nordique de Puvirnituq ont mis fin à leurs jours depuis le début de 2018, une augmentation substantielle par rapport aux années précédentes. La crise touche aussi d'autres villages.

DES LIGNES D'AIDE

Si vous avez besoin de soutien ou avez des idées suicidaires, vous pouvez appeler un des numéros sans frais suivants pour parler à quelqu'un.

Ligne d'aide Kamatsiaqtut : 1 800 265-3333 (inuktitut, anglais)

Ligne de crise des Pensionnats autochtones : 1 866 925-4419 (inuktitut, anglais, français)

Jeunesse, J'écoute : 1 800 668-6868 ou texte 686 868 (anglais, français)

Ligne 1-866-APPELLE au Québec (français)

Ligne d'écoute d'espoir pour le mieux-être des Premières Nations et des Inuits : 1 855 242-3310