Il ne laisse personne indifférent : au pouvoir depuis moins de trois mois, le nouveau premier ministre de l'Ontario Doug Ford passe de controverse en controverse. Son intention de défier un ordre de la Cour supérieure et de réduire de moitié la taille du conseil municipal de Toronto provoque une rare levée de boucliers de juristes et d'ex-politiciens dans tout le pays.

Des dos d'âne pour forcer les conducteurs dangereux à ralentir.

Quand le candidat libéral de sa circonscription est venu lui serrer la main en mai dernier, c'est ce que Kirk Michael, un résidant de Toronto, lui a demandé. « Il faut faire quelque chose avant qu'un enfant se fasse happer », a-t-il dit.

En guise de réponse, le candidat lui a énoncé la liste des différents services municipaux qu'il devait contacter, dit M. Michael, père de famille de 31 ans. « Ça avait l'air d'un vrai labyrinthe. »

Quelques jours plus tard, Doug Ford, candidat pour le Parti progressiste-conservateur, est passé dans sa rue pour lui serrer la main. M. Michael a fait la même demande.

« Passe à mon bureau, lui a répondu M. Ford en lui donnant sa carte professionnelle. Je vais demander à mes gens de régler ça. »

Le 7 juin dernier, Doug Ford a remporté la circonscription, Etobicoke-Nord, avec 53 % des votes et a été élu 26e premier ministre de l'Ontario. Il est, par la même occasion, devenu le politicien le plus controversé au Canada.

Pour ses partisans comme M. Michael, Doug Ford « fait ce qu'il dit et ne regarde pas les gens de haut. Si ce qu'il fait est du théâtre, eh bien, il est un sacré bon acteur ».

Pour un nombre grandissant d'observateurs, toutefois, les actions combatives de Doug Ford depuis son arrivée au pouvoir créent des précédents qui vont jusqu'à miner le processus démocratique.

Revers devant les tribunaux contre le fabricant automobile Tesla, refus de financer les programmes d'aide au logement pour les réfugiés, abandon du système de plafonnement et d'échange de droits d'émissions de gaz à effet de serre (GES), entraînant une poursuite de Greenpeace - les premières décisions de Doug Ford ont provoqué de la colère chez des Ontariens.

COLÈRE AUTOUR DU CONSEIL MUNICIPAL

Depuis deux semaines, c'est le projet de Doug Ford de changer la loi pour faire passer le nombre de conseillers municipaux à Toronto de 47 à 25 qui fait la manchette.

Ce changement, le projet de loi 5, Doug Ford veut l'adopter alors que les candidats sont en pleine campagne électorale, avec des élections municipales prévues le 22 octobre. La semaine dernière, la Cour supérieure de l'Ontario a statué que le projet de Ford était anticonstitutionnel. Quelques heures plus tard, le nouveau premier ministre a dit qu'il utiliserait la disposition de dérogation (« clause nonobstant ») de la Constitution pour faire avancer son projet, une première en Ontario.

Cela a provoqué une tempête : plus de 600 avocats ont signé une lettre ouverte s'opposant à l'utilisation de cette disposition. Quelque 80 professeurs de droit de l'Ontario et du Québec ont signé une lettre analogue. Un récent sondage montre que 65 % des résidants de Toronto s'opposent au projet de Ford.

Dans une déclaration commune la semaine dernière, l'ex-premier ministre Jean Chrétien, l'ancien juge en chef de l'Ontario Roy McMurtry et l'ex-premier ministre de la Saskatchewan Roy Romanow ont signalé que la disposition de dérogation ne devait être employée que lors de « circonstances exceptionnelles ».

« Nous dénonçons ces actions et appelons les membres de son cabinet et de son caucus à lui tenir tête. » - Extrait de la déclaration commune de Jean Chrétien, Roy McMurtry et Roy Romanow

La Cour d'appel de l'Ontario doit rendre sa décision ce matin au sujet de la demande déposée par la province visant à tenir des élections municipales à 25 circonscriptions, comme le souhaite Doug Ford.

L'avocat torontois William Hutcheson est à l'origine de la pétition qu'ont signée plus de 600 avocats, et qui a été envoyée à Caroline Mulroney, procureure générale de l'Ontario. « Le problème, c'est que Ford veut changer le système alors que la campagne électorale municipale est déjà en cours, dit M. Hutcheson en entrevue. Il pourrait attendre et faire cette réforme aux prochaines élections, mais ce n'est pas ce qu'il fait. »

M. Hutcheson dit qu'il n'a pas voté pour Doug Ford aux dernières élections, mais qu'un nombre grandissant d'électeurs conservateurs sont surpris par les agissements du nouveau premier ministre. « Parmi les 600 avocats qui ont signé la lettre ouverte, beaucoup sont des conservateurs, dit-il. La rapidité avec laquelle Doug Ford crée un précédent juridique les inquiète. »

NID-DE-POULE ET DOLLARAMA

À Etobicoke-Nord, le quartier de Toronto où est établie la famille Ford, les questions constitutionnelles n'alimentent pas les discussions.

Etobicoke-Nord est un quartier difficile à décrire, une banlieue hétérogène où des appartements de logement social et des chaînes de restauration rapide côtoient des villas de plusieurs millions de dollars. Située dans un cul-de-sac qui donne sur un parc, la maison de Diane Ford, mère de Doug Ford, est située à quelques dizaines de mètres d'un magasin Dollarama et d'une épicerie Metro. C'est dans cette maison que le clan Ford organise chaque été son barbecue annuel, qui attire un millier de partisans et de bénévoles.

Dans le quartier, Doug Ford et son frère feu Rob Ford, ancien maire de Toronto mort d'un cancer en 2016 et dont Doug était le bras droit à l'hôtel de ville, sont des hommes populaires.

« Au départ, je pensais que Rod Ford et Doug Ford étaient des clowns, explique Alexandre Vasolla, résidant de longue date de Etobicoke-Nord. Je ne comprenais pas pourquoi les gens les aimaient autant. »

« En discutant autour de moi, j'ai compris qu'ils étaient appréciés parce qu'ils réglaient des problèmes. » - Alexandre Vasolla

Ici, ils ont fait boucher en moins de trois jours un nid-de-poule qui embêtait les citoyens depuis des années. Là, le parc est plus sécuritaire le soir grâce à un puissant projecteur qu'ils ont fait installer une semaine après avoir reçu la plainte d'une mère de famille inquiète. Leurs mesures afin de limiter les pouvoirs des syndicats des employés municipaux ont aussi marqué leurs partisans.

« UNE CALAMITÉ »

Le nom de Doug Ford n'évoque pas que des sentiments doux, même au coeur de son royaume. « Son élection est une calamité, nous a lancé un homme qui a refusé de donner son nom. Les gens ont voté pour lui, et maintenant, ils ont ce qu'ils méritent. »

Jaime Gutierrez, un résidant de la rue The Westway, tout près de chez Diane Ford, croit que c'est une bonne chose de voir un politicien agir sans respecter les normes. Spécialiste dans le domaine de l'assurance médicale, M. Gutierrez est sans emploi depuis trois mois et espère que Doug Ford va faire croître l'économie au cours de son mandat.

« Lorsque vous ne faites que gérer le statu quo, personne ne se fâche contre vous, dit-il. C'est lorsque vous essayez d'apporter du changement que les gens se mettent en colère. Doug Ford veut changer les choses, veut réduire les dépenses inutiles et diminuer la taille du gouvernement. C'est sûr que des gens vont se plaindre et tenter de lui mettre des bâtons dans les roues. »