La femme d'un père de famille, actuellement détenu dans un centre de prévention de l'immigration, craint le pire s'il est renvoyé en Arabie saoudite, mercredi. En pleurs, elle demande la clémence des autorités canadiennes.

Quand ils se sont engagés sur le chemin Roxham en mai, leurs deux fils dans les bras, Hussain et Marwa Abdullah* pensaient qu'ils étaient au bout de leurs peines. La famille saoudienne s'attendait à ce que le Canada lui permette de demander le statut de réfugié. Ils pensaient qu'ils allaient enfin vivre ensemble. En sécurité.

Trois mois plus tard, Marwa, 30 ans, est inconsolable quand elle parle de la date qui leur pend maintenant au bout du nez : le 8 août. Ce jour-là, son mari doit être renvoyé dans son pays d'origine alors qu'elle et ses deux garçons, âgés de 4 et 6 ans, sont autorisés à rester au pays. « S'il est envoyé en Arabie saoudite, j'ai peur qu'il soit arrêté puis exécuté », dit-elle alors qu'une larme coule sur sa joue.

Les Abdullah, dont nous avons modifié le nom de famille pour des raisons de sécurité, sont issus de la minorité chiite saoudienne. Selon Human Rights Watch, les membres de ce groupe religieux sont parmi les principales victimes de discrimination et de répression politique dans le royaume sunnite.

« Les militants chiites continuent d'être arrêtés, d'être emprisonnés et, dans certains cas, font face à la peine de mort après des procès injustes. Quatre hommes condamnés à mort pour avoir pris part à des manifestations ont été exécutés en juillet 2017 », écrit l'organisation de défense des droits de la personne dans son rapport annuel 2017-2018.

Un premier essai

Joint par téléphone au Centre de prévention de l'immigration de Laval où il est détenu depuis près de deux semaines, Hussain Abdullah explique que c'est cette répression qui l'a poussé à fuir l'Arabie saoudite seul en mai 2017. Il raconte qu'il a été harcelé par les autorités saoudiennes après avoir critiqué l'intervention armée du gouvernement saoudien au Yémen, une intervention qui cible un groupe armé rebelle, les houthis, mais qui a aussi de graves répercussions au sein de la minorité chiite du pays.

« Des agents des forces de sécurité du pays sont venus me rencontrer après ce que j'ai dit. Ils m'ont offert de travailler pour prouver ma loyauté à mon gouvernement », raconte-t-il. Quand ils lui ont demandé de témoigner contre deux hommes, il a décidé de partir, relate-t-il. Grâce à un visa étudiant que le Canada lui a accordé, le dessinateur industriel a mis le cap sur Toronto en mai 2017 et y a demandé l'asile.

L'automne de la même année, il dit avoir reçu un coup de fil crève-coeur de sa femme. Affirmant avoir été arrêtée et détenue pendant trois jours pour avoir donné des soins à des manifestants chiites, elle se sentait prise au piège en Arabie saoudite, sombrait dans la dépression et, en l'absence de son mari, n'avait pas l'autorisation de quitter le pays. 

« Sans mon mari, c'était impossible de vivre en Arabie saoudite. Ma famille me disait qu'il m'avait abandonnée avec mes enfants. Je lui ai demandé de revenir. »

En novembre, Hussain Abdullah a décidé de retirer sa demande d'asile et de rentrer à Qatif. L'homme de 35 ans raconte que le harcèlement des services de sécurité saoudiens a recommencé presque aussitôt.

Après avoir obtenu un visa pour les États-Unis, il a décidé de fuir avec toute sa famille cette fois. Ils ont franchi la frontière du Canada à pied pour demander l'asile ensemble. « Mon mari avait entendu parler du chemin Roxham pendant son premier séjour au Canada », raconte Mme Abdullah. Depuis le début de l'année, plus de 10 000 personnes ont emprunté ce même chemin, près du poste-frontière de Lacolle, pour demander le statut de réfugié.

Une famille séparée

La famille a reçu une douche froide en rencontrant les autorités canadiennes. Ces dernières ont permis à Marwa Abdullah et à ses deux fils de faire une demande d'asile, mais ont dit à Hussain qu'il n'était plus admissible.

Selon la loi canadienne, un individu qui a retiré sa demande d'asile ne peut pas en déposer une deuxième. Le gouvernement estime qu'une personne qui, après avoir demandé la protection du Canada, rentre dans son pays d'origine démontre qu'elle n'est pas en danger. « Nous comprenons que les décisions sur les cas d'immigration peuvent avoir un impact profond sur la vie des individus », note Mathieu Genest, attaché de presse du ministre fédéral de l'Immigration, Ahmed Hussen. 

« Nous traitons ces questions très sérieusement et la décision de renvoyer quelqu'un du Canada n'est pas prise à la légère. Le Canada a un système de réfugiés solide et équitable, loué dans le monde entier. » 

Mathieu Genest souligne par ailleurs qu'en raison des lois canadiennes sur la protection de la vie privée, il n'est pas autorisé à commenter un cas en particulier.

Marwa Abdullah croit que le gouvernement du Canada fait une interprétation trop étroite des lois. « Mon mari est revenu en Arabie saoudite pour nous sauver, moi et mes fils. Maintenant, c'est lui qui est en détention », dit-elle en pleurant de nouveau. « Parfois, j'ai l'impression d'être encore en Arabie saoudite. Mon mari est allé à un rendez-vous avec les agents canadiens et ils l'ont soudain détenu. Je pensais que le Canada aurait plus d'humanité », dit Mme Abdullah.

Derniers recours

L'avocat de la famille, Vincent Desbiens, tente ces jours-ci d'obtenir un sursis pour M. Abdullah, mais les portes se ferment les unes après les autres. Parce que la demande d'asile a été retirée il y a moins d'un an, son client n'a pas droit à une évaluation des risques avant renvoi et ne peut déposer une demande d'immigration pour des raisons humanitaires. « Oui, la loi est la loi, mais on doit prendre en compte le côté humain de chaque dossier », plaide M. Desbiens. « Mon client a été courageux d'aller chercher sa femme et ses enfants dans un pays qui n'est pas sécuritaire pour lui. On ne devrait pas le punir à cause de ce courage », dit l'avocat, qui compte saisir la Cour fédérale et les Nations unies du cas de M. Abdullah avant mercredi.

Les Abdullah espèrent que leur prière au gouvernement du Canada soit entendue. « Le blogueur Raif Badawi, qui est en prison en Arabie saoudite, a encore espoir de revoir sa famille qui vit au Québec. Il est vivant, dit Hussain Abdullah. Je crains de ne pas avoir cette chance si je rentre en Arabie saoudite. »

* Le nom de famille a été modifié pour des raisons de sécurité.