«Parfait, un cycliste de moins sur la route.» «Les cyclistes, c't'une plaie.» Quand elle a lu ces commentaires sur la page Facebook d'un grand média, Annie Therien a vu rouge. Comme chaque fois qu'un cycliste est happé mortellement au Québec, une poignée d'internautes s'en réjouissent en ligne.

Cette fois, c'était au sujet de la mort de Valérie Bertrand Desrochers, répartitrice des appels 911 chez Urgences-santé. La femme de 30 ans aurait omis de faire un arrêt obligatoire et serait entrée en collision lundi matin avec un camion-benne à l'angle de la rue Saint-Zotique et de la 19e Avenue. Il s'agit de la première mort de cycliste à Montréal cette année.

«J'étais tellement outrée par la nature des commentaires que je me suis dit qu'il fallait que j'écrive quelque chose», explique en entrevue la blogueuse Annie Therien, qui a elle-même travaillé chez Urgences-santé jusqu'en février.

Le résultat est un texte (via ce lien ou ci-dessous) à la fois acerbe et bouleversant adressé aux trolls qui se sont félicités de la mort de Valérie Bertrand Desrochers à coups d'émoticônes pleurant de rire sur Facebook.

«Quand je lis les commentaires foudroyants de pertinence, écrit Annie Therien, on dirait que tu l'oublies que c'est quelqu'un. On dirait que tu l'oublies qu'y'a des gens qui sont en train de se texter partout pour savoir si c'est vraiment elle. On dirait que tu l'oublies qu'y'a un père et une mère qui sont en train de se faire annoncer que leur fille est décédée et on dirait que tu l'oublies que pendant que tu ris, y'a des gens qui shakent par en dedans à la vue du drap en dessous duquel repose un corps sans vie.»

«Peut-être que ça ne te fait rien aussi parce que tu n'as jamais vu son visage qui sourit, son visage exaspéré ou son visage épuisé après un appel d'urgence.»

«Mais ce n'était pas juste un visage - c'était une voix aussi, poursuit Mme Therien dans sa lettre. C'était la voix du calme dans la terreur. C'était la voix de l'espoir dans ta noirceur, celle qui comptait à quel rythme tu devais pomper un coeur, celle qui te disait comment arrêter un saignement, celle qui te disait comment faire respirer ton enfant en attendant que l'ambulance arrive. C'était la voix qui répondait à ta tragédie, avant de finir par y succomber elle-même.»

Un appel à la trêve auto-vélo

«Ça, ça me fait bondir», dit Suzanne Lareau, présidente-directrice générale de Vélo Québec, à propos des commentaires haineux invariablement diffusés sur les réseaux sociaux lorsqu'un cycliste est victime d'un accident de la route. «C'est une minorité qui chiale contre les cyclistes, mais ils sont audibles. On les entend et on s'imagine que c'est la voix de la majorité. Quand on fait des sondages, par contre, on s'aperçoit que la majorité veut plus de pistes cyclables et de transports collectifs.»

Mme Lareau tient à relativiser autre chose : seulement 11 des quelque 350 morts survenues sur les routes de la province l'an dernier impliquaient des cyclistes. «On médiatise beaucoup les décès en vélo, ce qui donne l'impression qu'il y en a énormément. Mais il meurt cinq fois plus de piétons que de cyclistes au Québec. Il faut mettre les choses dans leur contexte.»

Insultes, messages violents : la guerre virtuelle qui fait rage entre les automobilistes et les cyclistes sur les routes du Québec a assez duré, plaide Mme Lareau. «Arrêtons de dire que c'est une guerre auto-vélo. Je croise tous les jours des automobilistes courtois et des cyclistes qui n'ont pas d'allure - et vice-versa. Nous sommes tous parfois piétons, parfois cyclistes et parfois automobilistes, pour une large part d'entre nous.»

«Plutôt que de faire la guerre entre deux modes de transport, il faut faire la guerre au manque de civisme, poursuit la PDG de Vélo Québec. Le problème, c'est que lorsque ce sont les plus gros qui manquent de civisme, les plus petits en paient le prix. Et les petits, ce sont les piétons et les cyclistes...»

Certains internautes ont laissé des commentaires désobligeants à propos de l'accident mortel.