Camil Picard a démissionné de ses fonctions à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) à la suite de l'enquête publiée dans La Presse jeudi. Il a d'abord quitté uniquement son siège de président par intérim, pour ensuite abandonner son poste de vice-président au moment où il risquait une destitution par l'Assemblée nationale.

« Ce qui était important, c'est d'agir rapidement pour maintenir le lien de confiance entre cette organisation impartiale, nommée par l'Assemblée nationale, et la population », a affirmé le premier ministre Philippe Couillard.

Camil Picard a fait l'objet en 2007 d'une enquête policière pour agression sexuelle sur un mineur, gestes qui auraient été commis en 1983. Il a versé 50 000 $ à sa présumée victime en 2010 dans le cadre d'un règlement confidentiel à l'amiable précisant que « le règlement est effectué sans reconnaissance ni admission de responsabilité » de sa part. Il n'a pas été accusé au criminel dans cette affaire. Ces informations n'avaient jamais été transmises au gouvernement à l'époque de sa nomination à la CDPDJ.

En fin de journée, jeudi, M. Picard a émis une déclaration où il se dit innocent et déplore le sensationnalisme de l'article que nous avons publié. « L'article me concernant m'oblige à réaffirmer avec force et détermination mon innocence, comme je l'ai fait en 2007 alors que je faisais l'objet d'une enquête policière. J'avais alors pleinement collaboré avec la police de Québec. Bien qu'un dossier ait été soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales, aucune accusation formelle n'a été déposée. C'est, je crois, une démonstration qu'aucun acte répréhensible n'a été commis. » 

Sur la quittance de 50 000 $ qu'il a versée à la victime trois ans plus tard, il ajoute : « en ce qui a trait à la poursuite civile intentée contre moi et le règlement intervenu en 2010, mon intention était d'éviter un cheminement devant les tribunaux qui aurait été long et difficile pour moi et mes proches. Encore une fois, rien dans cette procédure ne permet de conclure que j'ai pu agir de façon inappropriée avec qui que ce soit. »

Québec a ordonné, jeudi, de mener un examen afin de savoir pourquoi ce dossier d'enquête du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) n'était jamais apparu sur l'écran radar de la Sûreté du Québec lors des vérifications d'habilitation sécuritaire, passage obligé avant toute nomination à un poste de haut niveau au gouvernement.

« Les faits dévoilés sont extrêmement troublants », a dit Stéphanie Vallée, ministre de la Justice, en matinée.

Mme Vallée annonçait alors que M. Picard s'était retiré de la présidence, mais pas de la vice-présidence.

Le gouvernement et l'opposition étaient à ce moment en discussion en vue de le démettre de l'ensemble de ses fonctions. Il aurait pu y avoir dépôt d'une motion pour destituer Camil Picard, du jamais vu à l'Assemblée nationale. Mais M. Picard a finalement choisi de se retirer, de laisser tomber également la vice-présidence. Stéphanie Vallée a appris son départ lors de la période des questions au Salon bleu, peu de temps avant la période allouée au dépôt des motions.

« La démission de M. Picard s'avère une sage décision », a-t-elle affirmé à la sortie de la Chambre, une opinion partagée par l'opposition.

« C'est une situation qui est totalement intolérable, a lancé la porte-parole en matière de justice du Parti québécois, Véronique Hivon. On a été complètement sous le choc de lire votre reportage. Sous le choc sur le fond des choses, sur ce qui est allégué, [mais aussi qu'aucune] de ces informations n'[ait] été transmise et que M. Picard lui-même n'[ait] pas fait part de ces informations-là, ce qui est très grave. »

UNE SITUATION JUGÉE ANORMALE

Comme l'a rappelé Stéphanie Vallée, le candidat à un poste associé aux emplois supérieurs, comme à la direction de la CDPDJ, doit remplir un questionnaire « assez élaboré dans lequel [il] est appelé à faire état de toute situation qui, si elle devait être rendue publique, pouvait s'avérer être problématique, être embarrassante pour le gouvernement ou pour la personne même qui occupe les fonctions ».

Camil Picard aurait dû lui-même signaler l'enquête le concernant, selon elle. Il avait donc menti ? a-t-on demandé à la ministre. 

« Disons que les faits n'ont pas été divulgués, et en soi, ça affectait la confiance du gouvernement à l'égard de M. Picard », a dit la ministre de la Justice.

Comme La Presse l'indiquait jeudi, Camil Picard a fait l'objet de trois vérifications d'habilitation sécuritaire au cours des cinq dernières années, mais l'enquête pour agression sexuelle sur un mineur, menée par le SPVQ, n'est jamais apparue sur l'écran radar de la SQ. Le dossier d'enquête du SPVQ n'était pas inscrit dans les grandes bases de données consultées par la SQ, une situation jugée anormale par une source bien au fait de ces procédures. Résultat : le gouvernement n'a jamais eu connaissance de ces informations au moment de la nomination de M. Picard.

« Ce qu'on sait maintenant, c'est que les éléments n'ont même pas été versés aux dossiers qui sont vérifiés [par la SQ] lorsqu'on fait des vérifications. Alors, le problème est assez profond », a dit Philippe Couillard.

Pour M. Couillard, « clairement, quelqu'un a omis, soit de mettre l'information dans le réseau [consulté par la SQ], soit de la vérifier ».

« ÉVITER DES SITUATIONS TEL QU'ON LE VIT AUJOURD'HUI »

Stéphanie Vallée a indiqué que « l'objectif de l'habilitation est de s'assurer d'avoir l'information même si quelqu'un n'est pas nécessairement reconnu coupable ou accusé. Il y a quand même des éléments qui peuvent entrer en contradiction avec les fonctions que l'on souhaite donner à quelqu'un. C'est certain que l'objectif de l'habilitation sécuritaire est de voir à éviter des situations tel qu'on le vit aujourd'hui ».

« Bien souvent », ces vérifications permettent d'identifier des « problématiques potentielles », et « il arrive que des candidatures ne soient pas retenues justement en raison de situations qui ont pu se produire dans le passé et qui pourraient porter ombrage à la confiance du public ».

« Même si une personne n'est pas reconnue coupable, lorsqu'on occupe des fonctions aussi importantes, on ne peut pas passer à côté de la perception, a-t-elle ajouté. Dans cette situation-là, les faits révélés, s'ils avaient été portés à notre connaissance, auraient probablement mené à des décisions tout à fait autres » au moment de statuer sur la candidature de Camil Picard.

Elle a invité à la prudence avant de remettre en doute toutes les vérifications d'habilitation sécuritaire faites dans le passé à la lumière du cas de M. Picard. « Parfois, il peut survenir une situation particulière, une erreur dans un dossier, ce qui n'entache pas le processus pour l'ensemble des dossiers », a-t-elle fait valoir.

Tessier à la présidence, quel avenir pour Thermitus ?

Camil Picard est remplacé par Me Philippe-André Tessier comme président par intérim. M. Tessier a été nommé à la fin de 2017 vice-président de la CDPDJ. Avec l'arrêt de travail de Tamara Thermitus, au centre d'une controverse elle aussi, et le départ de M. Picard, Me Tessier était le seul encore disponible à la direction de la commission, formée par un président et deux vice-présidents.

Mme Thermitus a fait l'objet de deux rapports jugés « dévastateurs » par une source gouvernementale, dont l'un fait suite à une enquête du Protecteur du citoyen concernant des plaintes pour abus d'autorité, mauvaise gestion et manque de respect envers le personnel. Elle tente de faire annuler l'enquête devant les tribunaux - un abus de procédures judiciaires, selon le Protecteur. Québec l'a incitée à quitter ses fonctions en janvier, sans succès jusqu'ici. « Actuellement, rien ne l'empêche [de rester]. Elle est en congé de maladie », a dit Stéphanie Vallée.

Certes, la CDPDJ traverse « des périodes de crise », mais « je préfère regarder vers l'avant et travailler avec les équipes à améliorer la situation ». « Pour moi, ce qui est important, c'est que la Commission ne soit pas sclérosée par des intrigues qui nuisent à son bon fonctionnement. [...] Il faut s'assurer de maintenir la confiance du public dans l'organisation. »

- Avec la collaboration de Fanny Lévesque, Hugo Pilon-Larose et Martin Croteau, La Presse