Le Commissariat à la protection de la vie privée entend se pencher sur l'utilisation que fait la police fédérale d'une importante banque de métadonnées américaine dans laquelle figurent des renseignements téléphoniques délicats sur de nombreux Canadiens.

Une porte-parole du commissariat, Tobi Cohen, a indiqué par courriel que l'organisation entendait « faire un suivi » auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à la lumière des informations divulguées par La Presse à ce sujet au début de la semaine.

Un ex-haut responsable de la DEA a indiqué notamment que la GRC disposait d'un agent de liaison auprès d'une division de la Drug Enforcement Administration (DEA) qui fait circuler des informations importantes à des fins d'enquête entre les services de renseignement et les corps policiers des États-Unis et d'ailleurs.

Il a précisé que la division collaborait étroitement avec la GRC et lui signalait au besoin des renseignements importants tirés de la banque de données en question, accessible dans le cadre du programme Hemisphere.

Elle regroupe des métadonnées (numéros de l'appelé et de l'appelant, heure et durée de l'appel, lieu, etc.) relativement à des milliards d'appels faits depuis 30 ans par les réseaux d'AT&T à partir des États-Unis, notamment vers le Canada.

Plusieurs organisations spécialisées dans la défense de la vie privée craignent que la police fédérale ne puisse ainsi accéder indirectement, sans supervision judiciaire, à des informations auxquelles elle ne peut normalement accéder au pays sans mandat.

Lex Gill, chercheuse rattachée au Citizen Lab du Munk School of Global Affairs, à l'Université de Toronto, note qu'elle serait « très surprise » d'apprendre que le stratagème en question respecte la Constitution canadienne.

Les corps policiers cherchent depuis longtemps à argumenter que les métadonnées téléphoniques - numéros de l'appelé et de l'appelant, heure et durée de l'appel, lieu de provenance, mais pas le contenu lui-même - sont moins délicates et requièrent une protection moindre.

La juridiction récente suggère cependant que leur position n'est guère soutenue par les tribunaux, y compris la Cour suprême, relève Mme Gill.

La GRC, insiste-t-elle, ne devrait pas être capable « par une voie de contournement » passant par les États-Unis d'accéder à des informations qu'elle ne peut normalement consulter sans l'autorisation d'un juge.

L'obtention possible de métadonnées délicates par l'entremise de la DEA est jugée « extrêmement préoccupante » par le critique du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de sécurité publique, Matthew Dubé, qui presse le gouvernement de faire la lumière sur la situation avec la GRC.

« Si le gouvernement veut s'assurer que les protections prévues dans la Charte des droits et libertés s'appliquent, il doit trouver une manière de colmater la brèche », dit-il.

Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, rappelle que la police fédérale « est tenue de recueillir des preuves d'une manière qui respecte la loi et la Constitution », mais ne prévoit pas se pencher plus avant sur les interrogations suscitées par le programme Hemisphere.

Son porte-parole, Scott Bardsley, précise que des « allégations de mauvaise conduite » peuvent être transmises pour enquête à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC ou le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qui vient tout juste d'être constituée.

« S'en remettre au nouveau comité de surveillance, ce n'est vraiment pas suffisant », juge M. Dubé.