Des acteurs de l'industrie de la décontamination soupçonnés par la police d'avoir participé au déversement illégal de milliers de tonnes de terres contaminées dans la nature avaient recruté des personnes proches du monde politique pour faciliter l'obtention d'importants contrats publics sur lesquels ils avaient l'oeil.

Lundi dernier, La Presse levait le voile sur une enquête criminelle menée par la Sûreté du Québec (SQ) avec l'aide d'experts des ministères de l'Environnement et du Revenu sur la firme Gestion OFA Environnement.

Selon des sources proches de l'enquête et des personnes interrogées par les policiers, la SQ soupçonne que des personnes ont prétendu envoyer des sols contaminés en Ontario, alors que ceux-ci étaient plutôt jetés dans la nature, ni vu ni connu, au Québec.

OFA nie en bloc les allégations. L'avocat de l'entreprise, Me Karl-Emmanuel Harrison, déplore ce qu'il appelle «l'absence de connaissance minimale par les policiers des règles en vigueur».

Pas accrédité par l'AMF

OFA a participé à divers chantiers de travaux publics depuis deux ans, mais toujours à titre de sous-traitant pour d'autres entrepreneurs qui avaient gagné un appel d'offres du gouvernement. La firme n'a jamais été accréditée elle-même auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour soumissionner à de gros contrats publics. L'organisme gouvernemental vérifie l'intégrité des entreprises et de leurs administrateurs avant de donner ces autorisations.

Les antécédents des principaux artisans d'OFA auraient pu être un obstacle à cette accréditation : son consultant Louis-Pierre Lafortune, chargé du développement des affaires jusqu'à récemment, est un ancien associé des Hells Angels qui a interjeté appel d'une condamnation pour complot en vue de recycler les produits de la criminalité. La cause est pendante.

Le directeur des opérations de l'entreprise, Jean-François Boisvert, a quant à lui été condamné à 60 jours de prison pour extorsion en 2009 et il est en attente de procès dans un dossier de fausse facturation.

Création d'une entreprise soeur

Peu après la création d'OFA, M. Lafortune a toutefois participé à la création d'une entreprise soeur, 3R360, qui était étroitement liée à OFA, mais où tous les dirigeants et administrateurs étaient des personnes sans antécédents criminels bien en vue dans leur communauté, a pu confirmer La Presse.

«La société 3R360 est une compagnie qui devait faire l'acquisition de sites pour la disposition notamment de sols AB, après obtention des permis appropriés auprès du Ministère. Elle devait aussi soumissionner pour obtenir des contrats publics pour l'exportation de sols en Ontario», explique Me Harrison, avocat d'OFA, de M. Lafortune et de 3R360.

3R360 a été accréditée par l'AMF le 9 février 2015, ce qui devait lui ouvrir la porte du secteur des contrats publics. L'entreprise utilisait le même logo qu'OFA, le même chimiste et le même comptable. Elle a donné la même adresse de bureau d'avocat à sa création et a tenu des réunions préliminaires au siège social d'OFA, à Anjou. Son actionnaire principal était Me Jean-François Goulet, avocat ayant déjà représenté M. Lafortune dans son procès criminel.

L'entreprise a mené une mission commerciale en Haïti en janvier dernier à laquelle participaient Jean-François Boisvert, d'OFA, et la conjointe de Louis-Pierre Lafortune, identifiée comme directrice de la coopération internationale pour 3R360, selon une photo publiée à l'époque par le site Médiamosaïque.

Les noms de Boisvert et de Lafortune n'apparaissaient nulle part dans la documentation de cette entreprise soeur, qui mettait plutôt en valeur des dirigeants proches du monde politique.

Le président du conseil d'administration était Jean-René Gagnon, lobbyiste qui fut chef de cabinet du ministre Pierre Laporte pendant la Crise d'octobre et qui demeure à ce jour un organisateur et militant du Parti libéral du Québec.

Le PDG était l'ingénieur et ancien président du Parcours du Cerf de Longueuil, Marcel Tessier, un homme très actif dans sa communauté qui a milité en politique municipale et qui a enregistré auprès du Directeur général des élections le nom «Renouveau Longueuil - Équipe Marcel Tessier», en prévision des prochaines élections.

Le vice-président était le gendre de Jean-René Gagnon, Alain Matuszewski, dont la conjointe est présidente de la Commission des femmes du Parti libéral du Canada au Québec. M. Matuszewski travaillait aussi en parallèle pour OFA. Son véhicule a été saisi par la SQ dans le cadre de l'enquête sur les déversements illégaux.

Grandes ambitions

Louis-Pierre Lafortune avait de grandes ambitions pour 3R360, et il comptait sur les dirigeants «officiels» de l'entreprise pour ouvrir des portes, ont confirmé à La Presse trois personnes qui ont été mêlées aux projets de l'entreprise.

Jean-René Gagnon, lobbyiste expérimenté, lui a organisé une rencontre avec Joe Norton, grand chef de la réserve mohawk de Kahnawake. 

Le plan était d'utiliser la position stratégique de la carrière JFK, au coeur de la réserve de Kahnawake, pour disposer des sols contaminés et gravats produits par les chantiers du nouveau pont Champlain et de l'échangeur Turcot. 

M. Gagnon et l'actionnaire de 3R360, Jean-François Goulet, ont même participé à un tournoi de golf mohawk avec des dirigeants de la carrière, selon le site web du tournoi. Sans succès.

Marcel Tessier, lui, a indiqué au Registre des lobbyistes qu'il comptait faire des démarches auprès des Villes de Montréal, Montréal-Est, Montréal-Ouest, Longueuil, Laval et Gatineau afin d'obtenir des contrats de gestion de matériaux contaminés. «Nous offrons une alternative aux municipalités qui ont des sites d'enfouissement déjà remplis», précisait sa fiche du registre.

Encore là, rien ne s'est concrétisé. Même résultat pour la mission commerciale de 3R360 en Haïti, qui visait à créer un centre de traitement de déchets. «Le gouvernement haïtien n'a pas donné suite à l'octroi du contrat visant une étude de faisabilité qui devait être réalisée par une société haïtienne», explique Me Harrison.

Au bout du compte, malgré l'abondance de projets, «3R360 n'a jamais été active», assure l'avocat.

Joints par La Presse, Jean-René Gagnon et Marcel Tessier ont tous deux confirmé qu'ils n'avaient finalement participé à aucun projet concret pour l'entreprise. Tous deux ont quitté le navire immédiatement après la série de perquisitions menées dans l'entourage d'OFA en septembre. Ils n'ont pas voulu commenter davantage. Alain Matuszewski a quitté tant OFA que 3R360.