La détresse psychologique est souvent difficile à percevoir chez les agriculteurs. Certains sont isolés et fréquentent peu de gens, sauf peut-être l'agronome ou le vétérinaire qui vient voir les animaux. C'est justement vers eux que se tourne l'Union des producteurs agricoles (UPA) pour un nouveau programme de prévention du suicide dans les fermes québécoises.

L'idée n'est pas de transformer les vétérinaires des milieux agricoles en travailleurs sociaux, mais d'en faire des relais, explique Lucie Pelchat, conseillère à l'Association québécoise de prévention du suicide. «On sait qu'il ne faut pas attendre que la personne en détresse demande de l'aide, dit-elle. Ce qui fonctionne, c'est de l'accompagner vers des ressources d'aide. C'est ce à quoi servent les "sentinelles". On va former les professionnels qui sont autour du producteur, comme les vétérinaires ou les comptables agricoles. Tout professionnel qui oeuvre auprès du producteur peut être formé pour repérer les signes de détresse, savoir quoi dire et comment aborder la question du suicide. La sentinelle est toujours en contact avec un intervenant qui lui a été désigné.» 

Ce concept existe déjà dans d'autres milieux. Les centres de prévention du suicide du Québec donnent des formations à ces sentinelles bénévoles afin qu'elles puissent reconnaître les signaux, même subtils, de la détresse. C'est le partenariat avec l'UPA qui est récent. Le programme a été officiellement lancé au mois d'août 2016. L'objectif est de former au moins 600 sentinelles en milieu agricole au Québec durant les deux prochaines années. 

«En faisant cela, on se donne un moyen de pouvoir identifier les cas», explique Pierre-Nicolas Girard, retraité de l'UPA et consultant dans le dossier de la santé psychologique des agriculteurs. «Pour plusieurs raisons, c'est très difficile de rejoindre les agriculteurs. Et ceux qui sont en détresse ou très malades ne se présentent jamais dans les réunions.» 

On parle de plus en plus de stress, de dépression et de suicide en agriculture, des sujets qui étaient tabous il n'y a pas si longtemps. Signe des temps, pour la première fois cette année, l'UPA a fait une place aux psychologues à son congrès annuel qui se tenait à Québec, la semaine dernière. 

«Dans un dossier comme celui-là, il faut y aller par petits pas, dit Pierre-Nicolas Girard. J'ai travaillé 43 ans à l'UPA, on n'a jamais parlé de ça alors qu'il y avait déjà un problème. Mais il y a du déni, de l'isolement. Aujourd'hui, on a un kiosque. L'UPA a quelqu'un de responsable du dossier de santé psychologique dans les fédérations régionales et les syndicats locaux. L'organisme défend les intérêts sociaux, moraux et économiques de ses membres, mais l'économie prend 95% de la place. Par contre, ça avance...»

En plus des sentinelles qui sont appelées à se multiplier dans les prochains mois, les agriculteurs peuvent compter sur des travailleurs de rang, des intervenants qui fonctionnent sur le même modèle que les travailleurs de rue en ville. Sauf qu'afin d'éviter la stigmatisation, ces professionnels de la santé visitent toutes les fermes du rang pour prendre des nouvelles. Si la voiture est garée chez le voisin, cela veut dire que le travailleur fait sa tournée et pas nécessairement que le fermier d'à côté vit une mauvaise passe. 

«S'ils ne viennent pas vers nous, on doit aller vers eux», dit la chercheuse en psychologie Ginette Lafleur, qui a étudié les particularités du milieu agricole. «Les travailleurs se promènent dans les rangs. Ça développe des liens de confiance. Ils vont dans des événements qui sont plus propices à créer des situations de détresse, comme les encans.»

Un agriculteur québécois sur deux souffre d'un niveau élevé de détresse psychologique, selon les recherches de Ginette Lafleur. 

Depuis 2003, le Québec compte aussi l'organisme Au coeur des familles agricoles, qui aide les agriculteurs en détresse. Sa maison de répit leur permet même de laisser la ferme quelques jours. À condition d'avoir quelqu'un pour s'occuper de l'entreprise. 

C'est un grand défi pour les agriculteurs qui ont besoin d'aide, explique Pierre-Nicolas Girard. La prochaine étape, dit-il, est donc de créer une banque de travailleurs agricoles, des gens compétents en production laitière, qui pourraient prendre le relais dans des cas d'urgence.