Coincée à Beyrouth depuis deux ans, Wejdan Jamous, 47 ans, vit seule avec son fils de 2 ans et demi dans un petit studio insalubre. Réfugiée syrienne, elle est parrainée par sa soeur Nahed Jamous, qui l'attend impatiemment à Montréal. Sa demande de résidence a été traitée et acceptée. Pourtant, rien ne bouge. Comme elle, des milliers de réfugiés attendent depuis des mois d'entrer au Canada en raison de délais administratifs.

«Ma soeur a une histoire spéciale, elle est séparée, et non divorcée. Elle avait eu une permission temporaire de son mari pour sortir de Syrie, comme l'exige la loi là-bas, mais elle devait présenter des papiers officiels l'autorisant à immigrer au Canada avec son fils», raconte Nahed Jamous.

Elle a payé un notaire, à un prix fort, afin qu'il se rende dans le village assiégé de Badda, dans Al-Tall, pour cueillir la signature de son mari. Les papiers notariés exigés ont été ajoutés au dossier, par ailleurs complet, en février 2016. «On nous a alors dit que le voyage n'était plus qu'une formalité.»

À Montréal, Nahed Jamous a donc déniché un logement douillet pour sa soeur et son neveu. «J'ai acheté tous les meubles sur Kijiji. L'appartement est prêt depuis l'hiver dernier.» Mais il est toujours vide. «Je paie le loyer 840 $ à Montréal et j'envoie 1000 $ au Liban tous les mois. J'ai dû prendre une marge de crédit. Et la vie est mauvaise pour ma soeur», dit la technicienne comptable.

Contre toute attente, le traitement de la demande, reçue en avril 2015, s'est allongé. En juin 2016, une représentante d'Immigration Canada a avisé Wejdan Jamous que la lettre du notaire avait été mal rédigée, qu'elle était irrecevable. «Dans la lettre, il était écrit que son mari acceptait qu'elle voyage au Canada avec leur fils, mais pas qu'elle immigre», raconte sa soeur. Après quelques vérifications, la demande a rapidement été acceptée. Mais des mois s'étaient écoulés. 

« On nous a dit qu'il fallait encore attendre jusqu'en septembre. Rien. Arrivera-t-elle avant la fin de l'année ? Je perds espoir. » - Nahed Jamous

«Le traitement des dossiers des réfugiés est complexe, car il exige que nous travaillions avec quelques-unes des personnes les plus à risque de la planète, et ce, dans des conditions locales difficiles», indique par courriel Rémi Larivière, porte-parole pour Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). [...] L'entrevue avec les demandeurs peut être compliquée en raison d'un manque d'accès, de l'absence de documentation et de difficultés à établir les liens de parenté.»

Des parrains s'impatientent

Même dans les cas où le traitement d'une demande d'asile se déroule rondement, sans anicroche, l'attente s'étire. Et les parrains s'impatientent. Plusieurs espéraient accueillir des familles dès le début de 2016, alors qu'une vague de 25 000 réfugiés syriens avaient pu entrer au Canada en plus ou moins 100 jours.

À Pont-Rouge, l'attente dure depuis janvier. Au coeur de la ville, dans la région de Québec, un logement à prix modique a été réservé pour une famille syrienne avec deux jeunes enfants. «Le loyer a été nettoyé, les murs, peinturés. On a décoré. Même les lits sont faits, dit Michel Boilard, du comité d'accueil. On a inscrit un mot de bienvenue, mais ça attend. Les vêtements pour les enfants sont rangés. À ce rythme, je ne sais même pas s'ils vont encore faire!»

M. Boilard se dit très déçu des lenteurs administratives. «Quand la famille arrivera, est-ce que nos bénévoles seront aussi disponibles? Le gouvernement nous a encouragés à nous lancer, on a réagi rapidement et il nous laisse tomber. C'est triste parce que ces gens ont de la misère là-bas, la situation n'est pas joyeuse.» Dès que le téléphone sonne, il croise les doigts. «On fera tout pour qu'ils se sentent bien dès leur arrivée. On va bien les envelopper.»

«C'est un processus assez long sur lequel on n'a malheureusement pas de contrôle», indique Marc Doucet, du comité d'accueil de Rimouski. La ville recevra trois familles, attendues depuis juin. «Ce qu'on comprend, c'est qu'il reste les visas à émettre. On souhaite les accueillir le plus tôt possible, avant la fin de l'année, mais on n'a pas de garantie.»

À Saint-Ubalde, le moral des troupes est bas. «La famille est prête à s'en venir depuis février. La demande a été acceptée, tous les tests sont passés, dit Gilles Pellerin, diacre du village. Normalement, ça prend huit mois avant qu'un dossier soit complété. Mais le feu vert ne vient pas.» Une maison, face à l'église, a été prêtée, elle est toute meublée.

Impatients, des membres de comités d'accueil de réfugiés ont cosigné une lettre transmise au ministre fédéral Jean-Yves Duclos, lui demandant d'accélérer le traitement des dossiers. «On fait des pressions, on est rendus là», regrette M. Pellerin.

«Nous savons que les réfugiés et les répondants sont déçus que le traitement accéléré ne se poursuive pas, mais la réponse du Canada à la crise des réfugiés doit être viable», indique M. Larivière, porte-parole d'IRCC. Le personnel supplémentaire chargé du traitement «intensif» a terminé son travail le 17 juin, mais M. Larivière souligne que «le traitement des demandes de réfugiés syriens recevant le soutien du gouvernement et de ceux parrainés par le secteur privé n'a jamais cessé».

Il ajoute: «Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada fera tout en son pouvoir pour que le traitement de la totalité des demandes de parrainage privé reçues de réfugiés syriens en date du 31 mars 2016 inclusivement soit terminé au plus tard à la fin de 2016 ou au début de 2017.»

Nahed Jamous y croira seulement lorsqu'elle pourra enfin serrer sa soeur dans ses bras...