Le gouvernement Couillard tente d'« annihiler » l'industrie pétrolière et gazière québécoise, dénonce Pétrolia dans un mémoire obtenu par La Presse. L'entreprise affirme qu'un projet de règlement présenté cet été cible directement ses opérations et prouve l'« hostilité politique » de Québec au développement des hydrocarbures.

La Presse a révélé en juillet les détails d'un projet de règlement qui impose une série de contraintes à l'industrie pétrolière et gazière. S'il est adopté tel quel, les entreprises de ce secteur devront forer plus loin des habitations, hausser leur couverture d'assurances et verser des milliers de dollars de plus pour la restauration des sites (voir encadré).

Au cours des consultations lancées avant l'adoption du règlement, l'industrie s'est vivement opposée à l'initiative.

Pétrolia, partenaire de Québec dans l'exploration de l'île d'Anticosti, est particulièrement virulente. L'entreprise reproche à Québec de faire « cavalier seul » avec des règles qui seront les plus strictes en Amérique du Nord.

« Le lecteur pourrait être amené à penser que, toujours dans le contexte de l'hostilité politique face à notre industrie, cet isolement réglementaire vise principalement à annihiler l'industrie des hydrocarbures québécois et à faire fuir toute société étrangère qui aurait le courage de s'aventurer dans les méandres de la réglementation québécoise mouvante entourant l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures au Québec », peut-on lire dans son mémoire.

La société s'estime directement ciblée par certains éléments du règlement. Elle y voit un lien direct avec le bras de fer qu'elle livre au gouvernement depuis des mois relativement aux activités du consortium Hydrocarbures Anticosti.

« Il est difficile pour l'industrie et plus particulièrement pour Pétrolia de dissocier cette démarche de modification réglementaire des différents propos tenus par le premier ministre du Québec, soutient l'entreprise. En effet, plusieurs mesures contenues dans ce projet de règlement ont été rédigées spécifiquement pour le projet Anticosti. »

L'Association pétrolière et gazière du Québec s'insurge elle aussi contre l'initiative du gouvernement libéral. Elle avance que le gouvernement cherche surtout à interdire certaines opérations plutôt qu'à développer une filière industrielle.

« La volonté d'être quatre, cinq, parfois dix fois plus sévère que d'autres juridictions ne fait aucun sens. Nous craignons que ce projet de règlement envoie un mauvais message sur le désir global du Québec de faire du développement économique. »

Le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, a préféré ne pas commenter la réaction de l'industrie puisque la consultation est toujours en cours. Il n'exclut pas de modifier le projet de règlement pour répondre aux doléances de l'industrie.

« Il est important de rappeler que le règlement propose de nouvelles exigences aux entreprises afin de mieux encadrer certaines activités menées à des fins d'exploration et d'exploitation d'hydrocarbures, a indiqué la porte-parole du ministre, Véronique Normandin. Rappelons également que l'objectif des modifications proposées est d'assurer la sécurité des biens, des personnes, la protection de l'environnement et la récupération optimale de la ressource. »

Des fleurs du monde municipal

En revanche, le monde municipal salue l'initiative du gouvernement libéral. La Fédération québécoise des municipalités, qui avait critiqué le projet de loi 106, a accueilli favorablement les nouvelles règles.

Son président, Richard Lehoux, y voit une « avancée ». Il fait valoir que plusieurs mesures, notamment celles qui touchent la distance entre les forages et les habitations, étaient réclamées depuis longtemps par ses membres.

« Ce sont des éléments très intéressants et très importants, a dit M. Lehoux en entrevue. Ça fait partie des revendications qu'on fait depuis un bon moment. Voir ces choses apparaître dans un règlement, ça répond à de nombreuses questions qu'on posait au Ministère. »

Quatre mesures prévues dans le projet de règlement

Hausse des distances séparatrices

Québec veut interdire les forages à moins de 500 mètres de toute habitation ou tout édifice. Ce seuil serait le plus sévère en Amérique du Nord. Par exemple, la limite est de 100 mètres en Alberta, en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick. Québec veut également bannir les forages à moins de 100 mètres d'un parc national ou d'une aire protégée et à moins de 600 mètres de la « zone de broyage » de la faille de Jupiter, à Anticosti.

Déplafonnement des garanties d'exécution

Toute entreprise qui souhaite mener des forages doit verser à l'avance un montant équivalant à 10 % du coût de l'opération pour payer la restauration du site. À l'heure actuelle, le montant ne peut dépasser 150 000 $, un plafond qui sera aboli. Cela entraînera des coûts importants, fait valoir Pétrolia, car le coût moyen d'un forage est de 6 à 8 millions.

Hausse de la couverture d'assurances

Jusqu'ici, les entreprises devaient se doter d'une couverture d'assurance responsabilité de 1 million. Le règlement fait passer cette somme à 2 millions. Québec exige aussi une assurance pollution de 2 millions, une assurance contrôle de puits de 10 millions et une « assurance complémentaire et excédentaire » de 8 millions. La couverture d'assurances des entreprises devra ainsi passer de 1 à 22 millions. « Aucune juridiction au monde n'est aussi sévère », écrit l'APGQ dans son mémoire.

Reddition de comptes

Québec exigera que les entreprises lui communiquent une batterie de renseignements sur leurs activités - analyses, profils sismiques, plans d'urgences, etc. - et qu'elles le fassent plus fréquemment. L'industrie estime qu'il s'agit d'un dédoublement réglementaire qui crée « une situation où le Québec ferait cavalier seul en Amérique du Nord », selon Pétrolia.