Les services d'urgence des grandes villes canadiennes répondent de plus en plus souvent à des appels pour libérer des personnes prisonnières d'ascenseurs en panne. Sans compter les désagréments causés par les nombreuses interruptions de service, notamment pour les personnes à mobilité réduite.

Et la situation empire avec les années dans un «parc» d'ascenseurs vieillissants, conclut une enquête de La Presse canadienne.

L'an dernier en Ontario, par exemple, les pompiers ont dû répondre à 4461 appels - une douzaine par jour - pour des personnes coincées dans les ascenseurs, soit deux fois plus qu'en 2001. À Montréal, les pompiers ont répondu à de tels appels en moyenne quatre fois par jour, pour un total de 1532 appels en 2015. Cinq ans plus tôt, en 2010, 1415 cas avaient été signalés aux pompiers.

Plusieurs de ces appels impliquent le «sauvetage» de plus d'une personne, alors que d'autres passagers coincés sont libérés sans le recours aux pompiers - grâce au concierge de l'immeuble, par exemple. Ces chiffres sont donc probablement conservateurs.

Selon l'ingénieur mécanicien Rob Isabelle, la crise n'est pas imminente: elle sévit déjà. Le consultant en ascenseurs attribue cette situation au mauvais état assez généralisé des pièces d'équipement. D'autres pointent aussi du doigt la simple hausse du nombre d'ascenseurs en service - une augmentation de 10 % depuis cinq ans en Ontario.

Mais tous s'entendent pour attribuer ces nombreuses pannes au vieillissement des équipements et à des problèmes structurels, dans une industrie dominée par quatre grandes multinationales: Otis, Schindler, Kone et ThyssenKrupp. Ces entreprises se livrent à une guerre de prix sans merci pour augmenter leur part de marché, selon l'ingénieur Isabelle.

Il y a trente ans, rappelle-t-il, un technicien pouvait assurer l'entretien de 35 à 45 ascenseurs, pour environ 1000 $ par mois chacun. Aujourd'hui, le même technicien est responsable d'une centaine d'ascenseurs, pour environ 600 $ chacun. «Les techniciens en entretien et en réparation sont débordés, ils n'ont plus le temps de s'occuper d'entretien préventif», estime M. Isabelle.

Fauteuils roulants et plateaux-repas

Les quatre grands acteurs de l'industrie - qui ont été condamnés en Europe à des amendes de plus d'un milliard de dollars pour collusion en 2007 - n'ont pas voulu commenter, pas plus d'ailleurs que l'Association canadienne des entrepreneurs en ascenseurs, qui représente de plus petits acteurs.

Au-delà des personnes coincées dans les ascenseurs d'immeubles de bureaux des métropoles, les pannes causent aussi des désagréments ailleurs, comme dans les centres d'hébergement ou les habitations à loyer modique, par exemple. Comment circuler en fauteuil roulant ou en déambulatoire? Distribuer les plateaux-repas?

Brent Merrill, de l'entreprise immobilière Metcap Living, explique que les propriétaires, confrontés à des réparations constantes, hésitent pourtant à moderniser un ascenseur, ce qui peut coûter de 150 000 $ à 300 000 $. Et devoir afficher «En dérangement» pendant des mois. M. Merill croit que la consolidation dans l'industrie a chassé les plus petits acteurs, qui assuraient un meilleur service d'entretien et de réparation.

Toujours en Ontario, environ 1550 des 18 000 ascenseurs dans les immeubles d'habitation ont plus de 50 ans, et 10 000 autres sont âgés de 25 à 50 ans. Mais il ne faut pas croire que les ascenseurs tout neufs sont immunisés contre les longues pannes. Les pièces de rechange sont parfois fabriquées en Chine, et arrivent par bateau...

Au Syndicat international des constructeurs d'ascenseurs, Ben McIntyre croit aussi que certains propriétaires ne veulent - ou ne peuvent - tout simplement pas investir dans l'entretien. Et les techniciens, débordés, vont au plus pressant, rappelle-t-il, tout en dénonçant lui aussi la domination de quelques grands acteurs dans cette industrie.

«Ils règnent sans partage et tout est affaire de gros sous, plutôt que de satisfaction du client ou du passager, explique le leader syndical. S'ils peuvent tourner les coins ronds pour satisfaire leurs actionnaires (...) ils vont le faire.»

Certains propriétaires de grands immeubles - surtout des immeubles de bureaux - payent même une prime supplémentaire pour obtenir un meilleur service. Mais tous n'ont pas ces moyens.

«Il faut que ça change», lance l'ingénieur mécanicien Isabelle: les entreprises doivent arrêter de couper dans les services d'entretien, et la tâche des techniciens doit être réduite.