Le gouvernement Couillard renonce à abolir les élections scolaires, une idée qui s'est avérée un nid à « chicanes ». Il met plutôt le cap sur un plan pour la réussite scolaire qui tire tous azimuts. « Il y a urgence d'agir, parce que le Québec a un rattrapage à faire par rapport à d'autres nations », a soutenu le ministre de l'Éducation et de la Famille, Sébastien Proulx, en entrevue à La Presse hier.

Tout y passe : réforme de la formation des enseignants, révision du financement destiné aux élèves en difficulté d'apprentissage, rehaussement de l'enseignement du français, mise sur pied d'un Institut national d'excellence en éducation. Le ministre « met sur la table » un sujet tabou : la création d'un ordre professionnel des enseignants. Il se défend de picorer dans le buffet caquiste, mais il projette d'offrir graduellement la maternelle 4 ans sur tout le territoire, pas seulement dans les milieux défavorisés, et de rendre l'école obligatoire de 5 à 18 ans, plutôt que de 6 à 16 ans. Il faut commencer plus tôt l'apprentissage des connaissances de base, surtout en français, croit-il.

Les services de garde ne sont pas en reste : ils seront appelés à dépister les enfants à risque d'avoir des problèmes d'apprentissage et à faire un suivi auprès des écoles qui les accueilleront en maternelle.

Sébastien Proulx a présenté à La Presse les grandes lignes du plan qu'il compte déployer au cours des deux prochaines années. Ce ne sont pas les lubies d'un ministre appelé à changer dans six mois pour un autre qui donnera un coup de gouvernail comme on l'a vu souvent, a-t-il laissé entendre.

Nommé il y a à peine trois mois, il caresse de grandes ambitions. Ses propos vont à coup sûr gonfler les attentes. « Dans les années 60, avec le rapport Parent, avec la Révolution tranquille, l'éducation a été le projet de société des Québécois. Aujourd'hui, il faut que ça le redevienne. Et pour ça, il faut prendre le virage de la réussite », a-t-il affirmé.

Ce « virage » est impossible à opérer sans une mobilisation de tous les acteurs. Or l'intention du gouvernement d'abolir les élections scolaires risquait de compromettre l'opération selon lui. « C'est un irritant dans le débat actuel, ça a pris beaucoup trop de place », a-t-il lâché. Son constat est brutal sur l'orientation prise par son gouvernement il y a à peine quelques mois. « Si on va de l'avant avec ça [l'abolition des élections scolaires], on va se chicaner entre nous pendant de nombreuses années. Ça, ce sont des efforts perdus et des ressources qu'on ne peut pas mettre sur la réussite scolaire. Il faut arrêter d'être distrait par toutes sortes d'affaires, et il ne faut pas se diviser sur des affaires qui n'apportent rien à la réussite. »

ABANDON DU PROJET DE LOI SUR LA GOUVERNANCE SCOLAIRE

Les élections scolaires seront ainsi maintenues. Il n'est pas question pour le moment de les tenir en même temps que les scrutins municipaux, car il n'y a pas consensus sur le sujet. « Je ne toucherai pas à la démocratie scolaire au cours des deux prochaines années », a assuré le ministre. Tout au plus demandera-t-il au Directeur général des élections d'étudier l'idée d'élire les commissaires scolaires par vote électronique « de façon à diminuer les coûts ». La facture s'est élevée à 20 millions de dollars lors des dernières élections scolaires, en 2014. Le taux de participation a atteint 4,85 % dans les commissions scolaires francophones, contre 17,26 % dans les anglophones.

Sébastien Proulx abandonne ainsi le projet de loi 86 sur la gouvernance scolaire déposé par François Blais en décembre dernier. « Il ne sera pas rappelé à l'Assemblée nationale », a-t-il résumé. Le ministre déposera un nouveau projet de loi, plus court, d'ici la fin de la session parlementaire, le 10 juin. Il y reprendra essentiellement les « éléments porteurs qui ont fait consensus », comme la décentralisation des pouvoirs vers les écoles. S'il « n'y aura pas une grande modification du conseil scolaire », l'octroi du droit de vote aux commissaires parents est toujours dans les cartons. « Les revendications des parents, on les a entendues », a-t-il dit.

Il prévient que les commissaires scolaires ne devront pas s'en tenir au statu quo dans leurs pratiques. « Pour les commissaires, le message aujourd'hui, ce n'est pas : ouf ! je n'ai rien à faire ». Ils devront « se mettre au service de la décentralisation », faire « une reddition de comptes » à la population et aux autres acteurs du réseau.

« Ce n'est pas parce qu'un groupe ou des groupes nous ont dit qu'il ne fallait pas faire ça. Je l'ai entendu de la part des représentants de la communauté anglophone, mais aussi dans les régions du Québec. Ce n'est pas un groupe qui a gagné et un autre qui a perdu, ce sont les élèves qui vont gagner parce qu'on va se mobiliser pour leur réussite », explique le ministre.

Ainsi, il présentera cet automne un document de consultation en vue d'adopter une « politique sur la réussite éducative ». Cette politique sera fin prête au début de l'an prochain.

C'est ce que réclame le milieu de l'éducation de toute urgence, a-t-il constaté. « Je visite des écoles presque chaque semaine depuis que je suis arrivé, je vois des gens de l'organisation scolaire, je vois des profs et je vais m'asseoir dans des classes », a-t-il insisté, manifestement soucieux d'éviter les mêmes critiques que celles adressées à son prédécesseur. Dans son bureau du complexe G, il pointe une carte, bien en évidence sur une étagère, que lui ont confectionnée des élèves d'une école de Chandler « cotée 10 », comme on le dit dans le jargon, c'est-à-dire le plus haut niveau de « défavorisation ». « Merci de prendre du temps pour nous », peut-on y lire. « Ça, ça me motive, ça vient me chercher », a affirmé le père de deux enfants âgés de 8 et 10 ans, les yeux dans l'eau pour conclure l'entretien qui aura duré une heure et demie.

« La semaine dernière, l'Ontario a annoncé un taux de diplomation de 85 % à l'intérieur des années de scolarité. Nous, on a 77 % avant 20 ans. On vise 80 % en 2020. Ce n'est pas assez. Je veux que les gens comprennent qu'il faut faire le rattrapage. Les législations qui ont investi du temps, des ressources, qui se sont dotées des meilleures pratiques ont des résultats aujourd'hui, nous on est en retard ! » a-t-il lancé.

Le plan en cinq temps

Offrir la maternelle 4 ans partout

Sébastien Proulx projette d'offrir la maternelle 4 ans partout au Québec, une idée prônée par la CAQ, mais aussi par la Commission politique du Parti libéral qui la soumet aux militants lors du conseil général de la fin de semaine. Pour le moment, il y a 80 classes à travers le Québec, et 70 s'ajouteront cet automne, toutes dans des milieux défavorisés. Le manque de places dans les écoles explique entre autres pourquoi le gouvernement doit y aller graduellement, a expliqué Sébastien Proulx. L'école doit être obligatoire dès 5 ans - 90 % des enfants fréquentent déjà la maternelle à cet âge, a indiqué le ministre. Il envisage de modifier le curriculum pour « donner accès le plus tôt possible à la littératie et la numératie ». L'apprentissage de la lecture se ferait plus tôt qu'à l'heure actuelle, par exemple. Les services de garde qui accueillent des enfants de 4 ans devraient repérer les élèves à risque et fournir un dossier aux écoles, a ajouté le ministre. « Il y a une rupture dans le suivi des enfants à l'heure actuelle » entre les réseaux, selon lui.

École obligatoire jusqu'à 18 ans

« Des idées ne sont pas mauvaises parce qu'elles ont été mises dans l'espace public par un autre », a dit Sébastien Proulx. En plus de la maternelle 4 ans, et comme le propose la Coalition avenir Québec, le ministre voit d'un bon oeil l'obligation de fréquenter l'école jusqu'à 18 ans. S'il a formulé des critiques sur cette idée dernièrement, c'était pour s'en prendre au principe de « pénaliser les jeunes » et d'empêcher les employeurs de les embaucher, a-t-il plaidé. Pour justifier la mesure, il signale que la plupart des jeunes obtiennent leur diplôme à 17 ans. Il est donc paradoxal selon lui de limiter à 16 ans l'âge de fréquentation scolaire obligatoire.

Élèves en difficulté d'apprentissage : « Ça ne marche pas »

« On met 2,3 milliards de dollars pour les enfants avec des besoins particuliers et on diplôme 46 % d'entre eux. Ça ne marche pas ! Il faut trouver de nouvelles façons de faire », a soutenu Sébastien Proulx. Le modèle de financement des services aux élèves en difficulté d'apprentissage sera revu. « Il faut enlever de la pression sur les parents qui doivent courir après des diagnostics, le faire dans un délai précis pour s'assurer que débutent les services. C'est l'enfant qui est victime dans tout ça. Il faut être capable de corriger la perception que les services ne suivent pas l'enfant. » Il faut également que les professionnels « accompagnent les enseignants dans les classes ».

Pour un Institut national d'excellence en éducation

Sébastien Proulx entend déposer cet automne un projet de loi pour créer un Institut national d'excellence en éducation. Cet institut serait chargé d'identifier les meilleures pratiques en pédagogie et de donner des outils au réseau scolaire pour les implanter. Il contribuera à l'amélioration des services destinés aux élèves en difficulté. « Il est temps qu'on instaure les meilleures pratiques, les données probantes et la recherche dans nos écoles. C'est ce qu'ils ont fait ailleurs et ils réussissent en Ontario, dans des pays européens et certains États américains », a-t-il soutenu. Un tel institut est « essentiel » pour favoriser la réussite scolaire, selon lui.

Ordre professionnel des enseignants

Un ordre professionnel des enseignants, « c'est sur la table », a indiqué Sébastien Proulx. La formation des enseignants dans les facultés d'éducation des universités sera également revue. Les critères d'admission seront rehaussés. Le ministre veut assurer une meilleure formation continue des enseignants. Il remet également en question l'ancienneté comme seul facteur pour choisir les classes en début d'année scolaire. « Il arrive des moments où c'est le nouvel enseignant qui se ramasse avec la classe la plus compliquée », a-t-il déploré. Le ministre entend valoriser le rôle des enseignants et leur donner davantage d'autonomie pédagogique. « Il faut les soutenir parce qu'ils me semblent essoufflés. Et ça, je pense que ce n'est pas seulement une question d'argent. Il faut revoir la façon dont on gère nos écoles et les budgets », a-t-il dit.