Surveillance électronique, répression des manifestations, accès difficile à l'information, musèlement des scientifiques, politiques visant à étouffer la critique: la liberté d'expression connaît «une lente érosion, ces dernières années», au Canada, s'inquiète l'association mondiale d'écrivains PEN, qui tient son 81e congrès annuel cette semaine à Québec.

«Le Canada assiste depuis plusieurs années à l'érosion du droit de s'exprimer librement», affirme le rapport dévoilé mardi par PEN international, qui considère que cette évolution est «alarmante», mais «n'a rien d'irréversible».

Chaque année, l'organisation présente un état des lieux de la liberté d'expression qui prévaut dans le pays où elle tient son congrès, événement qu'elle présente d'ailleurs comme une «tribune» permettant à ses membres de «discuter librement» et de «s'exprimer au nom des écrivains réduits au silence ailleurs dans le monde».

Le Canada demeure un pays où la liberté d'expression est enviable, relativise le président de PEN international, l'auteur canadien John Ralston Saul, «mais quand quelque chose est endommagé, il faut en parler».

Le mari de l'ancienne gouverneure générale Adrienne Clarkson s'inquiète notamment du manque de transparence du gouvernement.

Le rapport souligne que le Canada, qui avait adopté une loi «révolutionnaire» sur l'accès à l'information en 1982, est aujourd'hui «en retard», se classant à la 59e place sur 102 pays disposant de lois du genre.

PEN international note aussi que le «droit de manifester publiquement se fissure», citant les exemples des manifestations étudiantes de 2012, au Québec, et celles en marge du sommet du G20 à Toronto, en 2010.

Les conservateurs blâmés

L'organisation accuse à mots couverts le gouvernement conservateur de Stephen Harper d'être en partie responsable de la régression de la liberté d'expression au pays.

«Depuis 2006, le gouvernement fédéral a pris certaines mesures qui mettent à mal [la liberté qu'ont les citoyens de le critiquer]», affirme le document de 20 pages, qui se demande par exemple si l'interdiction faite aux organismes de bienfaisance d'affecter plus de 10 % de leurs moyens à des «activités politiques» est une façon de «faire taire la critique».

PEN international qualifie aussi de «bâillonnement» des fonctionnaires la «politique de communication» adoptée sous les Conservateurs et note qu'elle a amené les médias «à se tourner vers des chercheurs et des scientifiques non canadiens».

Pour souligner l'absurdité de cette politique, le rapport cite aussi l'exemple d'un chercheur du ministère des Ressources naturelles qui a dû attendre l'autorisation du bureau du ministre pour répondre aux questions d'un journaliste sur des inondations survenues dans le Nord du Canada il y a... 13 000 ans !

PEN international s'inquiète également de la nouvelle «loi antiterroriste à la formulation vague» adoptée le printemps dernier par Ottawa et des «programmes de surveillance tentaculaires», notamment de la collaboration entre les services canadiens de surveillance des télécommunications et la National Security Agency (NSA), aux États-Unis.

Ces brèches dans la protection des libertés fondamentales des Canadiens «peuvent être corrigées», note toutefois le rapport, mais à quelques jours du scrutin fédéral, John Ralston Saul marche sur des oeufs.

«C'est aux citoyens canadiens de décider s'ils pensent que ces limitations à leur liberté d'expression sont acceptables ou non. Et s'ils pensent, et j'espère qu'ils le pensent, qu'elles sont inacceptables, ils vont [agir en conséquence].»