Les facteurs du nord-est de la ville sont en état d'alerte après une douzaine d'attaques à main armée contre des collègues depuis le début de l'année, a appris La Presse. La plus récente a eu lieu cette semaine.

Les malfaiteurs - qui pourraient être liés aux gangs de rue, selon des facteurs - font une razzia sans précédent sur les précieux jeux de clés des facteurs. Certains ont été menacés avec des ciseaux. Une arme à feu aurait été utilisée dans un cas, selon le syndicat.

Les policiers examinent la possibilité que les voleurs veuillent faire du vol d'identité ou encore s'emparer de chèques gouvernementaux et de colis de valeur, selon nos informations.

«C'est sûr que [dans la zone touchée], ça met notre monde inquiet et nerveux», a indiqué Paul Vincelette, directeur, santé et sécurité, au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). «On est bien inquiets pour nos membres.»

«Selon les informations qu'on a, ce serait un groupe organisé, a indiqué Alain Duguay, président du STTP. On espère que l'enquête va avancer rapidement pour qu'on mette fin à cette série d'attaques.»

Montréal-Nord, Saint-Michel et Anjou sont particulièrement ciblés. Une attaque a aussi eu lieu à Laval.

Les attaques sont si fréquentes dans cette zone qu'un même facteur a été attaqué à deux reprises à quelques jours d'intervalle. Un collègue proche de lui nous a confié que l'assaillant l'avait d'abord menacé avec une paire de ciseaux à la gorge.

Après un bref congé de maladie, la victime est revenue au travail. À peine quelques jours plus tard, elle était attaquée une seconde fois. En panique, elle aurait tenté de fuir avant d'être jetée au sol par son assaillant.

Le syndiqué ébranlé aurait été retiré de la rue pendant plusieurs jours pour lui laisser le temps de retomber sur ses pieds.

Dans Anjou, il y a quelques semaines, un voleur de clés était armé d'un fusil, selon Paul Vincelette.

Précieux jeux

Les jeux de clés «valent quelque chose sur le marché noir», comme l'a indiqué un facteur rencontré à proximité du centre de distribution du quartier Saint-Michel. Tous les employés de Postes Canada rencontrés dans le cadre de la préparation de cet article ont préféré garder l'anonymat. Les gestionnaires ont envoyé un message interdisant aux employés locaux de s'adresser aux médias, hier, après l'arrivée de La Presse sur les lieux.

Dans ces jeux, on trouve des clés qui permettent notamment d'ouvrir les boîtes de relais gris qui se trouvent en bordure de trottoirs. Ces boîtes renferment parfois de grandes quantités de courrier qui attendent qu'un facteur les distribue.

Les clés donnent aussi accès aux boîtes collectives de certains immeubles d'appartements, ainsi qu'aux portes qui permettent d'atteindre ces boîtes et souvent les appartements individuels.

Le Service de police de la Ville de Montréal dit prendre la situation «très au sérieux» et avoir déployé «plusieurs méthodes d'enquête» pour attraper les responsables. Raphaël Bergeron, porte-parole du corps policier, a évoqué la possibilité que ce «ne soit pas un groupe en particulier, mais plusieurs individus différents».

Selon lui, il n'y a pas eu de vol de courrier massif lié à ces vols de clés, du moins pour l'instant.

Vive inquiétude

Les facteurs rencontrés au poste de distribution de Saint-Michel nous ont unanimement indiqué que le sujet était sur toutes les lèvres parmi les collègues.

«C'est inquiétant. À date, personne ne s'est fait blesser, mais ça pourrait arriver, a affirmé Martin. Ça fait 15 ans que je fais ça. Avant, il y en avait une ou deux par année. [Depuis deux mois], c'est intense.»

Le syndicat et l'employeur s'entendent sur un même et unique mot d'ordre aux facteurs: ne pas tenter de jouer les héros et obéir à l'agresseur sans rouspéter.

Un syndiqué qui approche de la retraite et qui dit ne jamais avoir connu rien de tel dans sa carrière a confié sa crainte que la situation puisse dégénérer sous le coup de la panique. «Un jour, il va y avoir [un facteur] qui va donner un coup», a-t-il déploré, inquiet.

«Pour avoir rencontré la majorité des gens après [les attaques], c'est sûr qu'ils sont ébranlés, a indiqué Paul Vincelette. C'est sûr, sûr, sûr.»

Postes Canada dit prendre la situation très au sérieux.

«On travaille avec le corps policier sur des enquêtes et sur une opération pour attraper les personnes qui sont responsables», a indiqué la porte-parole Anick Losier.

Cette dernière a aussi confirmé que la société d'État changeait toutes les serrures sous sa responsabilité chaque fois qu'un jeu de clés est volé. Donc, six changements de serrures pour des dizaines de boîtes de relais dans les deux derniers mois à Montréal-Nord. Trois pour Saint-Michel, où il y aurait environ 175 boîtes.

«Il le faut, a dit Mme Losier. Pour nous, la sécurité du courrier est une priorité.»

Modus operandi

1. Le facteur est repéré par les attaquants, qui travailleraient le plus souvent en groupes de deux ou trois.

2. Selon nos informations, les attaquants détournent l'attention du facteur pendant qu'ils coupent le lien qui relie le jeu de clés. Au moins une victime aurait toutefois été attaquée de front et violemment menacée.

3. Avec les clés, les malfaiteurs ont notamment accès à des boîtes de dépôt grises, dans lesquelles on trouve de grandes quantités de courrier, ainsi qu'à des boîtes aux lettres d'immeubles d'appartements.

4. Les policiers tentent toujours de déterminer avec certitude si l'objectif ultime est la fraude d'identité ou encore le vol de chèques et de colis.