Les déchets des uns sont la mine d'or des autres. Les ferrailleurs, professionnels ou du dimanche, écument les rues et les commerces en quête d'objets de métal abandonnés. Ils s'arrachent vos vieux électroménagers, chauffe-eau ou téléviseurs. La valeur du métal est élevée, de sorte que les voleurs rivalisent d'audace et se livrent à une concurrence féroce dans cet univers où règne pour l'instant la loi de la jungle. Incursion.

La valeur élevée du métal incite de plus en plus de gens à se lancer dans le marché de la ferraille et entraîne une recrudescence des vols, a constaté La Presse.

Seulement à Hydro-Québec, le vol de métal a atteint une valeur de près de 15 millions de dollars depuis 2009. La société d'État, qui qualifie ces vols de «récurrents», en a signalé 307 en 2009 et 576 en 2012.

La police de Laval déplore de son côté une vague de vols de convertisseurs catalytiques, dont on tire du palladium, un métal précieux. Chaque convertisseur peut être revendu environ 150$ à un recycleur, selon les modèles. «Les voleurs ciblent les stationnements à grande surface et les concessionnaires d'automobiles. Ils se glissent sous les véhicules surtout des utilitaires sport ou des 4X4 pour couper le convertisseur avec une scie alternative», explique le sergent Frédéric Jean.

Le Service de police de la Ville de Montréal rapporte de son côté 78 vols de métaux en 2012 incluant 12 cargaisons seulement dans la région ouest, qui abrite plusieurs secteurs industriels. Difficile toutefois de mesurer l'ampleur du phénomène, puisque ces larcins sont souvent compilés comme des vols, sans distinction. Même chose du côté de la Sûreté du Québec.

Les vols les plus spectaculaires font les manchettes, comme celui d'une grande croix de bronze, il y a quelques mois, dans une église de Québec. Les lieux de culte, surtout ceux qui sont abandonnés, sont souvent la cible des voleurs.

À la police de Laval, toutefois, plusieurs cas ont été signalés au cours des dernières années : pots à fleurs en cuivre sur les pierres tombales, voitures volées, démolies puis revendues, métaux dérobés dans les chantiers de construction ou des propriétés privées.

Mais des centaines d'autres incidents passent sous silence.

Les municipalités n'échappent pas au fléau. En 2011, le vol de fils de cuivre dans des lampadaires alignés sur une distance d'au moins 10 km avait forcé le maire d'Anjou à bouger. «Le plus gros problème, c'est que les recycleurs achètent le fil de cuivre sans poser de question », déplore le maire Luis Miranda, qui a fait adopter une résolution locale visant à obliger les vendeurs à déclarer la provenance de leur cargaison aux recycleurs.

M. Miranda n'a toutefois aucun moyen de savoir si son règlement est appliqué. «Mais depuis deux ans, ça s'est calmé », constate-t-il.

Si les lampadaires d'Anjou ne sont plus ciblés, ceux de Salaberry-de-Valleyfield l'ont été tout récemment. Trois d'entre eux se sont littéralement volatilisés en pleine nuit. Les fils de cuivre d'une quinzaine d'autres ont aussi été arrachés. À 3$ la livre, le cuivre est LE métal recherché par les recycleurs.

La revente des fruits du vol est possible parce que certains recycleurs peu scrupuleux ferment les yeux. Il existe une dizaine de centres de recyclage dans la région montréalaise, sans compter ceux qui sont éparpillés en région. «On ne peut pas mettre tous les recycleurs dans le même sac, mais certains ne se questionnent pas trop sur la provenance des métaux», constate le sergent Frédéric Jean.

Louis Labelle, propriétaire du centre de recyclage Phénix Métal, à Laval, croit qu'acheter à l'aveuglette comporte trop de risques. «On a 40 employés et 36 caméras. Je ne prendrais pas le risque d'avoir une mauvaise publicité.»

Les ferrailleurs honnêtes pestent contre ceux qui nuisent à leur image. «Chaque fois qu'une histoire sort dans les médias, c'est l'ensemble du métier qui est éclaboussé», souligne Patrick Vachon, qui a fondé son entreprise de recyclage, Empire, il y a quelques années.

Certains malfaiteurs prennent des risques importants, notamment ceux qui s'aventurent dans les postes de transformation et de distribution d'Hydro-Québec pour y dérober du cuivre. En 2011, un voleur est d'ailleurs mort électrocuté en escaladant un pylône dans un poste de distribution de la région de Charlevoix.

Premier arrivé, premier servi

Les temps sont durs, admet Gilbert Caron en immobilisant sa camionnette devant un bâtiment industriel de la rue Berri. La casquette enfoncée sur la tête, l'homme allume une cigarette. Dehors, il fait -20°C.

«Le client est au troisième étage. Je ne sais pas trop ce qu'on vient chercher », explique le ferrailleur de 55 ans, dans le métier depuis 15 ans.

Deux employés d'une entreprise l'escortent jusqu'au sous-sol par des escaliers en colimaçon rouillés. Dans le coin de la pièce, il y a une pile de tuyaux, un portemanteau et une poubelle remplie de métaux. Les yeux de M. Caron s'illuminent. Son butin. «Il y a une quinzaine de livres de cuivre, là-dedans, plus le reste. Je vais me faire au moins 100$ avec tout ça», calcule-t-il.

Le vétéran travaille de plus en plus sur appel et n'écume presque plus les rues en quête de métaux. La raison : c'est la jungle. Contrairement à plusieurs autres domaines, aucune mafia ne régente le milieu. La ferraille appartient à tout le monde. « C'est premier arrivé, premier servi. C'est pour ça que tout le monde fait ça. Si ce n'est pas toi, c'est quelqu'un d'autre qui va le ramasser. Et oui, c'est fâchant de voir n'importe qui en voiture et même en vélo faire ça. Mais qu'estce qu'on peut y faire ? », dit Gilbert Caron en soupirant.

En plus de la concurrence, le prix élevé de l'essence complique aussi la vie des ferrailleurs. Plusieurs payent pour s'approprier le métal.

Patrick Vachon craint carrément les dérapages si la situation perdure. «Il n'y a aucune règle. De plus en plus, ça va être le free-for-all, c'est là que ça va être dangereux», croit le jeune homme.

Selon lui, des guerres de territoire pourraient éclater si le nombre d'acteurs augmente. « Il devrait y avoir un permis de recycler, n'importe qui ne s'improviserait pas scrappeur», explique M. Vachon.

Les recycleurs devraient, selon lui, acheter le métal exclusivement des ferrailleurs. En effet, en plus des particuliers, les électriciens et les plombiers, qui connaissent la valeur des métaux, vont vendre eux-mêmes leur matériel.

«Moi, je ne fais pas de plomberie pour arrondir mes fins de mois ! », dit le jeune ferrailleur.

Photo: Patrick Sanfaçon, La Presse

Un policier de Laval inspecte un lampadaire dans lequel des fils de cuivre ont été volés.