Une enquête préliminaire soumise au ministère de la Justice du Canada dans la foulée de l'affaire Shafia recommande de tenir compte de la psychopathie dans l'évaluation des cas de «crime d'honneur» devant les tribunaux canadiens.

«Les préjugés patriarcaux contribuent à la perpétration des crimes d'honneur. Toutefois, bon nombre de personnes subissant ces influences socioculturelles n'approuvent pas de tels actes. C'est pour cette raison que l'on doit tenir compte de la psychopathie», peut-on lire dans cette enquête d'une quarantaine de pages, obtenue grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

L'enquête, datée du mois de juin 2010, recommande ainsi que les tribunaux fassent appel à un psychiatre ayant de bonnes connaissances culturelles pour évaluer une personne soupçonnée d'avoir commis un crime d'honneur.

«Un examen approfondi de l'état mental de l'accusé pourrait révéler la présence d'une psychopathologie, laquelle pourrait indiquer clairement la présence de problèmes de santé mentale graves», lit-on.

En 10 ans, une douzaine de crimes d'honneur ont ainsi été recensés au Canada. Mais la visibilité comme la médiatisation de ce type de crimes, qui font surtout des femmes comme victimes, se sont également accrues dans le monde depuis le début des années 2000.

L'auteur de l'enquête, le Dr Amin Muhammad, professeur de psychiatrie à l'Université de Terre-Neuve, se penche sur la psyché des personnes qui commettent un crime d'honneur. Selon lui, un homme issu d'une culture traditionaliste peut s'inquiéter de l'influence que pourrait avoir sur sa femme une société qui lui reconnaît des droits égaux à ceux des hommes.

«Ils peuvent devenir extrêmement intransigeants à propos de la religion, recourir à des attitudes agressives et, à certains moments, à la violence», écrit M. Muhammad. Leur psyché, poursuit-il, est dominée par l'hypervigilance et l'anxiété.

Certes, les traditions socioculturelles peuvent jouer un rôle dans la perpétration des crimes d'honneur, note le Dr Muhammad.

Mais il relève que ce type de crime existe dans différentes régions du monde et que, contrairement aux idées reçues, il n'est associé à aucune pratique religieuse en particulier.

Pourtant, la majorité des personnes qui vivent sous les mêmes influences socioculturelles ne commettront jamais de crimes d'honneur. Il pourrait donc exister, chez les meurtriers, des tendances psychopathiques allant des plus graves, comme la schizophrénie ou la psychose, aux moins graves, comme les problèmes de personnalité.

«Bien souvent, il ne s'agit pas d'un crime motivé par la religion. Il est plutôt fondé sur les priorités, l'ego et la mentalité d'une personne. Dans certains cas, il existe des facteurs psychologiques, des études ayant démontré que certains auteurs de crimes souffrent de maladies mentales non diagnostiquées ou présentant des caractéristiques ou des troubles psychopathiques», peut-on lire.

La recommandation de ce rapport a fait long feu. Un peu plus d'un an après qu'il eut été remis à Justice Canada, Mohammed Shafia, sa femme Tooba et leur fils Hamed n'ont pas fait l'objet d'une expertise de ce genre lors de leur procès.

Avec la collaboration de William Leclerc