Après avoir conquis le marché du Nouveau-Brunswick, le Québec aimerait faire la même chose avec ceux de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse pour faire d'Hydro-Québec un géant de l'énergie dans l'est du Canada.

Des discussions sont déjà amorcées avec le premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, Robert Ghiz, a fait savoir le premier ministre Jean Charest hier à Fredericton, en annonçant qu'Hydro-Québec fera l'acquisition d'Énergie Nouveau-Brunswick pour 4,74 milliards de dollars.

M. Charest avait aussi rencontré la veille le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Darrell Dexter, qui s'inquiète de voir Hydro-Québec prendre de l'expansion dans les provinces maritimes. Les deux hommes ont convenu de se reparler après que M. Dexter aura pris connaissances des détails de l'entente avec Énergie NB, a indiqué M. Charest.

La transaction annoncée hier a suscité des réactions très majoritairement positives au Québec. Elle semble être en effet à l'avantage d'Hydro-Québec, qui achète seulement les éléments d'actif les plus intéressants et laisse les autres de côté.

Ainsi, Hydro deviendra propriétaire du réseau de distribution d'Énergie NB et de son réseau de transport qui, via l'État du Maine, est relié aux autres états de la Nouvelle-Angleterre.

Hydro achète aussi les sept centrales électriques, mais pas les cinq centrales au charbon et au mazout.

Ces centrales cesseront graduellement leurs activités et leur production polluante sera remplacée par de l'électricité d'Hydro-Québec, qui s'est déjà réservé les crédits de carbone.

La centrale nucléaire de Point Lepreau deviendra aussi la propriété d'Hydro-Québec, mais seulement une fois que sa réfection complète sera terminée et sans assumer aucun des risques de délai ou de dépassement de coût.

Le prix payé, 4,74 milliards, représente le montant de la dette d'Énergie NB. Une entreprise qui se vend pour le montant de ses dettes est normalement une entreprise très mal en point. C'est le cas d'Énergie NB, estime l'analyste Jean-Marc Carpentier.

«Ils se trouvent devant un mur. Les factures s'accumulent et les prix menacent d'exploser», résume-t-il. Énergie NB a encaissé un petit profit de 70 millions l'an dernier sur des revenus de 1,5 milliard.

Pour le premier ministre du Nouveau-Brunswick, la transaction a une valeur de 10 milliards, soit le prix de vente de 4,74 milliards et un approvisionnement en électricité moins coûteux, dont il estime la valeur à 5 milliards pour les cinq prochaines années.

C'est de cette façon que le premier ministre Shawn Graham entend «vendre» la transaction aux Néo-Brunswickois, et il va y arriver, prévoit Jean-Marc Carpentier. «Ça va passer parce que les consommateurs sont très inquiets des augmentations de tarifs qui les attendent.»

Hydro s'engage à geler pendant cinq ans les tarifs de la clientèle résidentielle au prix actuel de 11 cents le kilowattheure, ce qui est quand même 50% plus cher que le prix du Québec. La clientèle industrielle verra ses tarifs baisser pour atteindre ceux en vigueur au Québec pour la petite et la moyenne entreprise.

À long terme, les tarifs d'électricité du Nouveau-Brunswick seront établis selon le modèle en vigueur au Québec, soit un bloc patrimonial à prix fixe et des tarifs pour le transport et la distribution établis par une Régie de l'énergie.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick espère que ces tarifs d'électricité lui permettront de garder ses entreprises et d'en attirer des nouvelles, mais il ne pourra pas le faire au détriment du Québec. L'entente prévoir en effet que tout bloc d'énergie supplémentaire dont le Nouveau-Brunswick aurait besoin sera tarifé au prix du marché, ce qui rendrait par exemple l'implantation d'une aluminerie très coûteuse.

«C'est un deal qui va être éminemment rentable pour Hydro-Québec, résume Jean-Marc Carpentier, parce qu'il lui permet de vendre de l'électricité immédiatement à un prix supérieur à celui en vigueur au Québec et parce qu'il lui ouvre une porte sur un marché plus grand.»

Hydro prévoit que la transaction sera rentable dès la première année et qu'elle générera un rendement de plus de 10%. L'achat d'Énergie NB sera financé en partie par les fonds propres d'Hydro-Québec (750 millions) et en partie par de la dette (4 milliards).

Assez d'électricité?

L'entente de principe conclue avec Hydro-Québec sera l'objet d'une consultation publique au Nouveau-Brunswick et la transaction pourrait être conclue le 31 mars.

Les deux parties ont aussi convenu de travailler au développement d'un Carrefour de l'énergie, un projet cher au premier ministre Shawn Graham, qui veut profiter des avantages géographiques de sa province pour accroître.

Pour Hydro-Québec, ça pourrait vouloir concentrer une partie de ses activités d'exportations au Nouveau-Brunswick, a indiqué hier un porte-parole de la société d'État.

Hydro pourra exporter plus d'énergie aux États-Unis grâce au réseau du Nouveau-Brunswick et davantage aussi en Ontario, grâce à la nouvelle interconnexion qui vient d'être mise en service.

Des ententes d'approvisionnement à long terme sont actuellement en négociations avec le Vermont (renouvellement), le Maine et New York, a indiqué hier le premier ministre Charest.

Si toutes ces discussions devaient se conclure favorablement, il faudrait se poser la question à savoir si Hydro aura assez d'énergie pour satisfaire tous ces marchés, note Jean-Marc Carpentier. Chose certaine, selon lui, il ne sera plus possible de vendre aux alumineries québécoises de l'électricité à bas prix parce qu'il sera possible de la vendre plus cher ailleurs. «Des projets comme l'agrandissement de l'aluminerie de Deschambault (Alcoa) sont morts et enterrés», estime-t-il.