«Il faudrait que je fasse le ménage!» répète sans cesse le père Jean. Le ménage de quoi? De ses lettres. Devant nous, sur la table de cuisine, il y en a des piles et des piles et ça n'a rien à voir avec le courrier du père Noël. Depuis 1969, le père Jean n'a manifestement pas jeté une seule lettre ou une seule carte de Noël reçue de prisonniers ou d'ex-prisonniers. S'ajoute à tout ça la correspondance que des carmélites ont entretenue avec des prisonniers, pendant des années. Voici quelques extraits.

«Si j'ai la peine capitale, c'est pour un monde meilleur que je partirai.»

A., condamné à mort, 1955

«Elle sera toujours ma femme, quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse, elle sera toujours à mes yeux l'orchidée de toujours. Dis-lui de s'efforcer de comprendre et surtout de me pardonner tout le mal que je lui cause.»

 

A., à son beau-frère et à sa belle-soeur, 1955

«Je n'ai pas peur de mourir; la seule chose qui me désole, c'est la misérable raison de ma mort et la honte pour ceux qui me sont chers. Tu connais ma vie, elle n'a pas toujours été exemplaire mais je n'ai jamais tué, ni envoyé personne tuer, ni faire de hold-up et je crois que tu me connais. (...) Au revoir, si Dieu le veut.»

Lettre d'A. à sa famille, un mois avant sa pendaison

«Votre photo, je me suis permis de la donner à ma mère. Adieu, chère Rolande, je vous embrasse très fort et garde votre place au Ciel.»

Extrait du dernier mot d'A., quelques heures avant sa pendaison, en 1955

«J'ai commencé à paqueter mes affaires!»

Un prisonnier sous le coup d'une peine ferme de 25 ans... six ans avant sa libération conditionnelle!

«À partir du 12 août, nous aurons une augmentation de 20 sous par jour dans notre salaire. (...) Nous aurons aussi le droit de nous laisser pousser une moustache. Ces deux choses sont banales en elles-mêmes, mais cela fait le sujet de conversation depuis deux semaines déjà.»

C. à une carmélite, 1971

«Quand je me lève le matin, ma journée n'a pas 24 heures, mais 10 fois plus. Chaque journée me paraît interminable et à chaque heure je me dis que j'ai le temps, mais à chaque heure qui file, je ne fais rien, reportant toujours à plus tard. Ainsi le temps passent et rien ne se fait. Je ne prends goût à rien, je ne m'intéresse à rien.»

C. expliquant à sa correspondante carmélite pourquoi il tarde tant à lui répondre

«Les gros mangent les petits. C'est ce que j'ai appris à l'école. (...) Résultat: je me suis toujours battu, seul contre tous et voilà qu'aujourd'hui, pour avoir appliqué ce que j'ai appris on me met en prison pour 20 ans. C'est bête, non?»

C, à soeur Murielle, une carmélite

«J'ai bien hâte que celui qui décide de la hauteur des montagnes s'occupe de me montrer mon destin. Salut, petite soeur.»

C. à soeur Murielle

«Je suis en effet bien mal pris pour écrire à une carmélite et l'idée d'écrire à une bonne soeur ne m'était jamais venue à l'esprit avant mon arrestation, il y a de cela 15 mois. Mais voyez-vous je n'ai pas tellement de correspondance avec l'extérieur, à l'exception de ma mère et ma fiancée qui est toujours en contact avec moi, mais après 15 mois, on répète souvent les mêmes choses dans nos lettres et on ne sait plus trop de quoi discuter à part de se dire de beaux mots d'amour qui nous font toujours plaisir à écrire.»

M. à soeur Marie-Marthe, 1971

«J'ai eu l'opportunité de voir ma sentence commuée en une peine d'emprisonnement à perpétuité avec ma date d'admissibilité de 25 années soit le 8 avril 2000. Pour l'instant, je prie le Seigneur sincèrement pour qu'il me donne force et courage, moral et santé pour pouvoir poursuivre cette longue route qui se présente à moi comme un enfer.»

M., qui vient d'échapper à la peine de mort, 1977

«Plus tard je serai libre dans ma tombe et pas obligé de regarder ce monde-là.»

«Je suis seul sur la terre qui me comprend.»

M., date non mentionnée, en attente de sa sentence

«Je me permets de vous écrire pour vous faire une demande hors de l'ordinaire. Au mois d'octobre, durant un bingo (...), j'ai fait la connaissance d'une fille qui étudiait comme criminologue à l'université. J'aimerais correspondre mais je ne sais que son prénom: L. Vous pourriez peut-être la retracer. Il ne doit pas y en avoir beaucoup avec ce prénom et qui fait ces études-là. (...) Elle a les cheveux foncés et porte des lunettes. Si vous le pouvez, dites-lui mes intentions et qu'elle ne s'inquiète pas, elles sont bonnes.»

J., 1971