En annonçant le remplacement de six autres ponts à dalle épaisse dans le Centre-du-Québec et l'ouest de la Montérégie, la semaine dernière, le MTQ a franchi le seuil des 100 ponts à reconstruire dans tous les coins de la province.

Moins de deux ans après l'effondrement du viaduc de la Concorde, le grand ménage du réseau routier québécois ne fait pourtant que commencer. Connaîtrat-on, un jour l'ampleur du tas de poussière qu'on avait balayé sous le tapis, avant la tragédie de Laval ?

Le document du ministère des Transports du Québec (MTQ) se lit comme le scénario d'un film qu'on aurait vu 100 fois. À côté des noms de villages et de petites villes classés par directions territoriales et des données de localisation de petits ponts sans nom, le mot «remplacer» revient à six reprises dans cette liste de 12 évaluations complétées.

À Saint-Valère, près de Victoriaville, le pont du 8e rang, au-dessus de la rivière Noire, sera remplacé l'an prochain. À Franklin, dans la partie ouest de la Montérégie, deux ponts seront aussi reconstruits d'ici un an. À Saint-Jean-sur-Richelieu, Ormstown et Saint-Valentin, les travaux de remplacement seront lancés en 2009, 2010 et 2013, respectivement.

Il y a deux ans, cette mise à jour des inspections spéciales réalisées sur les ponts de béton à dalle épaisse du réseau routier municipal aurait fait la manchette des médias nationaux. La semaine dernière, sa diffusion sur le site internet du MTQ n'a pas eu droit à une mention. Des fermetures de ponts, ça n'étonne plus personne au Québec.

Pour cause. Au printemps, La Presse a révélé qu'après avoir évalué les capacités structurales de 135 ponts du réseau routier supérieur - incluant des dizaines de viaducs qui surplombent les autoroutes les plus fréquentée (A-10, A-20, A-40) de la province, le MTQ avait résolu d'en reconstruire 25, et d'en démolir trois autres. Une moyenne d'un pont à remplacer sur cinq.

Il y a trois semaines, le MTQ a rendu publique la liste de 117 chantiers prévus sur des ponts et structures du domaine municipal, en 2008-2009. Plus de la moitié de ces chantiers sont des projets de remplacement des structures actuelles par de nouveaux ouvrages.

Au total, 60 ponts municipaux et 41 ponts à dalle épaisse situés sur les réseaux routiers provincial et municipal, ont ainsi été jugés irrécupérables en seulement quelques mois.

Et ce n'est pas fini. Selon le MTQ, pas moins de 104 nouveaux projets de réfection de ponts doivent s'ajouter à la liste des 117 chantiers déjà prévus dans les municipalités, avant la fin de cette année. Et 51 ponts à dalle épaisse restent encore à évaluer, dans toutes les régions de la province.

Des records

Le nombre sans précédent des chantiers, et les investissements records consentis à la réfection des ponts, viaducs, ponceaux et autres ouvrages d'art, cette année, découlent directement du plan global de redressement du réseau routier présenté par la ministre des Transports du Québec, Mme Julie Boulet, en octobre 2007.

La présentation de ce plan constitue la réponse du MTQ au rapport de la commission d'enquête présidée par Pierre Marc Johnson sur la tragédie du viaduc de la Concorde survenue à Laval, en septembre 2006. Cinq personnes ont alors perdu la vie dans l'effondrement d'un pont d'étagement vieux de 37 ans, qui avait été jugé sécuritaire lors d'inspections récentes du MTQ.

Un an après cette tragédie, dont le souvenir reste très présent à l'esprit des automobilistes québécois, la commission Johnson a recommandé la mise sur pied d'un grand chantier national de réfection des structures routières qui serait doté d'un budget d'au moins 500 millions par année. La barre fixée par la commission sera donc largement dépassée, dès cette année.

Le MTQ prévoit en effet dépenser environ 842 millions de dollars dans plus de 700 chantiers de ponts et viaducs, d'ici au printemps 2009. Et 2,6 milliards, au cours des trois prochaines années.

Or, si cette fébrilité sans précédent sur les ponts et viaducs s'explique par une volonté ferme de répondre aux recommandations de la commission Johnson, la mise en oeuvre du plan de la ministre Boulet révèle surtout, avec la fermeture déjà annoncée d'au moins 100 ponts, jusqu'à quel point le réseau routier québécois est décrépit.

Dans les quatre années qui ont précédé la tragédie de Laval, de 2003 à 2006 inclusivement, le MTQ a dépensé 860 millions pour entretenir les 5000 ouvrages d'art du réseau routier supérieur. C'est environ 18 millions de plus en quatre ans, que durant la seule année 2008-2009.

Pendant cette même période, le pourcentage des ponts provinciaux qui était «en bon état» est tombé, dramatiquement, de 58,7% à seulement 53%.

Il est encore beaucoup trop tôt pour voir comment les investissements records de cette année permettront d'améliorer cet indice, qui témoigne avec éloquence du retard pris par le Québec dans l'entretien de ses infrastructures.

En déposant son plan en réponse au rapport de la commission Johnson en octobre dernier, la ministre Boulet assurait que «ce plan vise l'atteinte des normes nord-américaines» en portant le pourcentage des structures routières en bon état à 80%, comme dans la majorité des administrations voisines.

Il faudra 15 ans pour y arriver. Et un nombre indéterminé de milliards de dollars.

On n'a pas fini de compter les ponts qui ferment, au Québec. Selon les données du MTQ, il en restera environ 4000 à réparer sur le réseau supérieur et dans les réseaux routiers municipaux, après les 700 chantiers prévus, cette année.