Ottawa dispose maintenant d'arguments scientifiques pour appuyer ses prétentions territoriales dans l'Arctique. Lors d'une conférence à Oslo, en Norvège, un groupe d'experts canadiens et danois a affirmé cette semaine avoir la preuve qu'une chaîne de montagnes sous-marines qui traverse le pôle Nord est une extension du continent nord-américain.

La dorsale Lomonosov est au coeur des manoeuvres diplomatiques du Canada, du Danemark, des États-Unis et de la Russie, qui se disputent l'une des dernières régions non explorées sur le globe. L'enjeu est énorme: les gisements de pétrole et de gaz dans le Grand Nord sont estimés à 10 milliards de tonnes.

Comme la Russie considère que la dorsale fait partie du continent eurasien, elle revendique la souveraineté sur une large part de l'océan Arctique, qui pourrait devenir navigable dans les prochaines décennies à cause du réchauffement climatique. L'an dernier, ses sous-marins ont même planté le drapeau national sur le fond marin, directement sur le pôle Nord.

Au cours des derniers mois, des chercheurs canadiens et danois ont scruté la chaîne à la loupe. Ils ont procédé à une centaine de relevés sismiques pour conclure que les montagnes sont, en fait, rattachées au continent nord-américain.

«Il y a longtemps eu un consensus selon lequel la dorsale Lomonosov a une origine continentale, explique le directeur du projet à la Commission géologique du Canada, Jacob Verhoef. La question jusqu'ici était de savoir si elle est liée à notre continent. Et notre étude démontre que c'est le cas.»

La découverte peut sembler anecdotique, mais elle pourrait avoir des conséquences énormes dans la course à la souveraineté sur l'Arctique, dont la majeure partie est en principe considérée comme un territoire international. Or, des pays peuvent obtenir la souveraineté sur certaines de ses parties s'ils font la preuve que son fond est une extension de leur plaque continentale.

Les pays qui bordent la région ont jusqu'en 2013 pour présenter un dossier étoffé aux Nations unies, qui décidera du découpage de l'océan.

«Ce processus est avant tout scientifique, a affirmé à La Presse le ministre fédéral des Ressources naturelles, Gary Lunn. Et les résultats que nous avons obtenus sont très favorables à nos revendications. Nous croyons que nous pourrons revendiquer une extension de nos limites équivalente à la taille des Prairies.»

Le ministre conservateur reconnaît que le Grand Nord regorge de ressources naturelles. Mais il précise que ce n'est pas la seule raison pour laquelle le Canada veut y planter son drapeau.

«Nous voulons nous assurer que ce territoire reste sous notre juridiction, dit-il. Nous voulons établir les lois, nous voulons fixer les barèmes environnementaux.»

Mais la découverte scientifique ne va pas régler le débat pour autant, estime Frédéric Lasserre, professeur de géographie à l'Université Laval et expert de la question territoriale dans l'Arctique.

«Ça veut dire que ça va être difficile de trouver un terrain d'entente entre les Canadiens et les Danois, d'un côté, et les Russes de l'autre, affirme-t-il. Car les deux parties vont multiplier les études scientifiques.»