Le pire côtoie le meilleur dans les Laurentides, et certains villages ont mieux su tirer leur épingle du jeu. Visite de quatre villages.

Val-David

Il y a un petit quelque chose de particulier, à Val-David. Même le touriste arrivé là par hasard le remarquera. La rue principale est ravissante, été comme hiver. Tous les petits commerces qui font qu'on se sent bien dans un centre-ville sont présents. Un nouveau magasin général, très chic, s'est aussi installé rue de l'Église, au printemps dernier.

«C'est vrai qu'il se passe quelque chose de particulier, ici», reconnaît Nicole Davidson, née à Val-David et mairesse depuis 2009. Elle attribue ce «quelque chose» à la population de Val-David, des gens particulièrement engagés dans leur communauté. «C'est parce que nous avons la chance de ne pas avoir trop de lacs ici.»

Pardon?

«Les gens qui s'installent à Val-David, explique la mairesse, le font pour y vivre. Ils ne s'achètent pas un chalet sur le bord d'un lac pour y venir quelques fois par année.»

Un exemple de ce succès? Le marché public de Val-David, qui se tient du printemps à l'automne, certainement l'un des plus beaux du Québec. 

C'est ce qui a attiré au village le chef Thierry Rouyé. Il vendait au marché des spécialités de sa Bretagne natale: crêpes, galettes, kouign-amann. Il était alors propriétaire du restaurant La Porte, boulevard Saint-Laurent, à Montréal. L'an dernier, il a fait le grand saut, a quitté la ville et ouvert La Table des gourmets, rue de l'Église, à Val-David. Le chef travaille avec de la viande de producteurs locaux et, en saison, des produits de la terre du coin. Thierry Rouyé ne regrette pas son choix. Les affaires vont bien. «Nous avons une bonne clientèle locale le midi. Les fins de semaine s'ajoutent des gens qui ont un chalet dans la région. Val-David est un village très authentique. Ça ressemble à ce qui se voit en Europe. Il y a beaucoup de culture.»

L'artiste René Derouin a bâti ici ses Jardins du précambrien. L'été, la formidable exposition 1001 pots regroupe les meilleurs céramistes de la province.

Inévitablement, certains résidants s'inquiètent de l'avenir du village. «On entend dire qu'il ne faudrait pas que ça devienne Saint-Sauveur ou le Plateau, confie Thierry Rouyé. Certains ont peur de perdre ce côté authentique.»

La mairesse affirme que cela ne se produira pas de sitôt. «Nous allons conserver notre vie communautaire», dit-elle. Elle assure que l'aménagement est surveillé de près, notamment rue de l'Église, où le plan d'implantation architectural est assez restrictif.

Sainte-Agathe

Quand elle a décidé d'ouvrir sa première maison de torréfaction, il y a 10 ans, Annie Gaudet n'avait qu'un seul endroit en tête: Sainte-Agathe. C'est là qu'elle est née et elle n'avait pas besoin de faire une étude de marché: tout son entourage lui avait promis de l'encourager.

Soit Annie a beaucoup, beaucoup d'amis, soit elle a eu du pif: il y a maintenant deux Couleur café à Sainte-Agathe, un à Mont-Tremblant, ainsi qu'une franchise à Mont-Laurier depuis l'automne dernier. «Il y a 10 ans, dans les Laurentides, la vague des nouveaux cafés n'était pas encore arrivée», confie la jeune entrepreneuse. «Nous avons eu une mission d'éducation», explique-t-elle, avec le recul. Le mois prochain, Annie Gaudet prendra possession d'une usine où sera torréfié son café (en provenance de 18 pays). Toujours à Sainte-Agathe.

La ville de Sainte-Agathe-des-Monts a bien besoin de commerces dynamiques comme Couleur café pour se démarquer dans la région et attirer les touristes. L'environnement a beau y être magnifique, avec le lac des Sables en plein centre-ville, certains locaux vides ou commerces tristounets minent la balade en ville. 

Sur son site internet, la municipalité se décrit elle-même comme «un haut lieu de villégiature, à une certaine époque».

«On n'est plus dans les belles années de Sainte-Agathe», admet Annie Gaudet, qui rêve de voir débarquer quelques jeunes passionnés qui ouvriraient restos et hôtels.

Le président de la chambre de commerce de Sainte-Agathe est d'accord avec elle. «La ville est très étendue, explique Ghyslain Valade. Il y a des commerces près de la 15, sur la 117 et au centre-ville.» Ce qui rend difficile la comparaison avec d'autres villes plus concentrées, dit-il.

Ghyslain Valade est copropriétaire de la grande boutique Sports Jacque Champoux qui existe depuis 47 ans. Environ 75% de sa clientèle vient de l'extérieur, de Montréal ou d'ailleurs dans les Laurentides. «Oui, les gens nous disent que c'est mort à Sainte-Agathe, poursuit le commerçant. Alors ils viennent au magasin et ils quittent le centre-ville. [...] Ça nous prend des nouveaux commerçants passionnés, qui ont le feu sacré.»

Saint-Jovite

Saint-Jovite fait officiellement partie de Mont-Tremblant depuis 2000. Mais Saint-Jovite, c'est Saint-Jovite.

«J'ai toujours dit que Tremblant, c'est un peu Disney, alors que Saint-Jovite, c'est autre chose», affirme Érick St-Amour, qui vit dans la région depuis 23 ans. Il est maintenant copropriétaire de l'épicerie fine Le St-Amour, rue Saint-Jovite. Dans le charmant commerce, chacun des produits est choisi avec soin par des proprios manifestement anglophiles - où ailleurs au Québec peut-on trouver des croustilles au haggis?

De plus en plus, le St-Amour compte des fidèles - des gens de la région, mais aussi des touristes qui ont adopté l'épicerie. Et le village. Car la rue principale de Saint-Jovite est certainement parmi les plus belles de la région. «Une transformation s'est faite avec l'arrivée des nouveaux commerces», confirme le chef Sébastien Houle, propriétaire depuis

10 ans de sEb l'artisan. Son restaurant est situé juste en marge de la rue Principale, où se trouvent maintenant une jolie roulotte à patates, un comptoir de produits fermiers, une fabrique de pâtes fraîches, quelques restos, des boutiques...

Malgré cet environnement favorable, être à l'ombre de Tremblant n'est pas toujours facile, avoue Érick St-Amour. Les touristes qui aiment le village d'Intrawest restent à la montagne; ceux qui ne l'aiment pas ne vont pas à Mont-Tremblant. Ni à la montagne, ni à Saint-Jovite.

Le vieux village 

Saint-Jovite n'est pas seul à vivre à l'ombre du mont Tremblant.

La Montréalaise Christine Blais s'est installée dans le vieux village de Mont-Tremblant pour fabriquer ses Palettes de bine, du chocolat fait selon le principe bean to bar - donc traçable de la fève à la tablette de chocolat. Un produit de spécialité.

Une clientèle de villégiateurs a découvert ses tablettes dans les marchés publics. Après seulement quelques mois, sa production est de 250 tablettes par semaine, beaucoup plus que prévu.

Le vieux village se cherche un peu, confie la chocolatière. Les commerçants qui s'adressent principalement aux touristes doivent avoir les reins solides, dit-elle. Les basses saisons sont très dures. C'est la même chose dans tous les villages des Laurentides, mais peut-être encore plus dans le Vieux-Tremblant, souvent pris entre la montagne et Saint-Jovite. Les sportifs qui viennent de passer la journée à la montagne manquent souvent d'énergie pour arrêter sur la route, devant le lac, pour faire des courses ou casser la croûte. Ils préfèrent poursuivre leur route vers la maison, le chalet ou l'hôtel.

Le village de Mont-Tremblant est pourtant très différent de celui qu'Intrawest a créé dans les années 90. Il est nettement plus authentique. Des artistes et des artisans s'y sont installés. Une petite librairie-café-bar à vin vient d'ouvrir. Des boutiques de sport indépendantes rappellent qu'on est juste à côté d'un parc national. Une boutique de déco, Jardin d'hiver, se trouve dans une jolie maison, et l'atelier de Palettes de bine est caché derrière, ouvert aux curieux lorsque l'artisane y est. Les matins d'hiver, ne la cherchez pas: elle est sur les pentes!

Sainte-Adèle

Vous avez de vagues souvenirs d'une boulangerie qui sent bon le levain et le sucre, souvenirs qui viennent de votre enfance, très loin? Quand vous poussez la porte du Vieux Four, c'est ce qui vous saute au nez. Et au coeur.

Les frères Desjardins font le pain comme le faisaient leur père, leur grand-père et leur arrière-grand-père, lequel a ouvert la boulangerie en 1919. Certaines des recettes datent des débuts du commerce, comme les fameux biscuits à la mélasse ou à la crème sure et à la farine d'avoine, chaudement recommandés par le proprio.

Une importante partie de la clientèle, admet Robert Desjardins, est constituée de touristes et de villégiateurs. Les ventes de brioches aux raisins (couvertes d'une impressionnante couche de glaçage au sucre) décollent vraiment le vendredi, quand les citadins sont en route vers leur chalet.

Sainte-Adèle est une ville assez étendue, de part et d'autre des routes qui traversent les Laurentides, ce qui fait qu'on y passe souvent sans s'arrêter. «Je pense que les touristes qui viennent ici choisissent un lieu, une auberge ou un restaurant, plus que Sainte-Adèle même», estime Gilbert Vincent, qui a ouvert la Villa Côté Sud il y a deux ans.

La petite villa de trois chambres a un décor provençal très classique et différent des gîtes traditionnels. Les clients viennent surtout de Montréal, de Gatineau, de Québec ou de la Montérégie.

«Ce qui est bien, à Sainte-Adèle, dit Gilbert Vincent, c'est qu'on peut tout faire ou rien du tout. C'est un endroit très tranquille, il y a une belle énergie.»

Souper chez le boucher 

Sur la 117-Nord, à gauche de la route et un peu en hauteur, une affiche pique la curiosité: «Les Têtes de cochon, boucherie et restaurant».

Tout le monde avait pourtant déconseillé à Philippe Chalifour et Mathieu Noël de s'installer là, mais ils ont, comme leur restaurant, des têtes de cochon. Le concept: un petit comptoir épicerie, un service de boucherie qui propose des viandes surtout locales et naturelles, et un restaurant qui les sert. L'ambiance est très joyeuse, la clientèle, diversifiée et l'endroit, couru.

Un an et demi à peine après l'ouverture, il faut réserver pour avoir une table dans le petit restaurant de 48 places, le week-end - même juste à côté du comptoir à viandes. Le tandem a déjà une clientèle d'habitués, des gens du coin ou qui ont un chalet dans la région. La plupart des clients ne sortaient pas ailleurs, explique Philippe Chalifour. «Il y avait déjà des restaurants nappes blanches, dit-il, mais ce n'est pas toujours ce qu'on recherche quand on veut aller au restaurant.» Surtout quand on est dans le Nord pour quelques jours.

Au menu des Têtes de cochon: superbes salades César, pogos faits avec de bonnes saucisses, poutine au foie gras et autres plats très riches. Tout cela proposé par des serveurs en chemise à carreaux. Difficile de résister au charme de l'endroit.