Le froid, le vent, la neige, la fatigue, les dénivelés en montagnes russes: rien ne semble capable d'arrêter les 200 fondeurs qui participent depuis dimanche dernier à la 10e Grande traversée de la Gaspésie. Ce défi un peu fou  parcourir 175 km à ski de fond en 6 jours -, imaginé par deux sportifs infatigables et organisé en quelques semaines à peine la première fois, est maintenant indissociable du paysage hivernal gaspésien et affiche systématiquement complet. La Presse y a parcouru les premières dizaines de kilomètres. Portraits sur le vif d'un succès touristique qui n'a rien d'ordinaire.

1. Foule

8h, il y a de la fébrilité dans l'air: les bottes aux pieds, les skis fartés, les bouteilles remplies d'eau chaude, 200 skieurs sont prêts à souffler, suer et souffrir un brin.

Si l'achalandage des centres de skis agace parfois  adieu le bucolique, bonjour les embouteillages - ici, c'est tout le contraire.

Le départ en peloton, passablement désorganisé il faut le dire, a quelque chose d'enivrant et de terriblement énergisant.

Si tous ces hommes et femmes, les experts comme les novices, se croient capables de franchir l'étape, alors pourquoi pas moi?

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

2.Solitude

Paradoxalement, la traversée, c'est aussi «grand voyage intérieur» dit Claudine Roy, instigatrice de l'événement avec Thierry Pétry.

C'est vrai que si l'on s'élance en bande, papotant avec l'un puis l'autre, on se retrouvera irrémédiablement seul au monde sur les pentes au bout d'un, deux, 10 ou 20 kilomètres, avec pour uniques compagnons le silence, une forêt endormie et des tonnes de neige vierge.

Un décor immaculé idéal pour méditer.

Ou écouter I Feel Good, de James Brown qui n'aura jamais résonné si vrai.

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

3. Gastronomie

Ce n'est pas pendant la Grande traversée de la Gaspésie (TDLG) que l'on entreprend de faire un régime. Les calories que les fondeurs brûlent sans compter pendant le jour, ils les reprennent avec grand plaisir le soir. Car l'aventure est aussi gastronomique.

Les soupers se transforment en festins où les produits du terroir sont à l'honneur.

Le midi, un lunch élémentaire suffit, il faut pouvoir s'arrêter le moins longtemps possible pour éviter de prendre froid.

N'empêche: le banal bouillon de poulet devient divin lorsque servi par les bénévoles et avalé en pleine tempête de neige. Et que dire du shooter servi à l'arrivée!

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

4. Météo

C'est la grande inconnue, l'invitée mystère qui a toujours le dernier mot sur la tournure des événements et dicte le degré de difficulté du parcours.

Depuis 10 ans, les skieurs prennent l'hiver à bras le corps, confrontés ici à des froids sibériens, là à la pluie battante, à la neige ou au verglas.

Le brouillard le long du fleuve est parfois si épais qu'il faut s'encorder pour ne pas se perdre, même à 200 personnes, même sur une trajectoire rectiligne.

Le départ, cette année, s'est fait en pleine tempête, mais la température a été particulièrement douce ces trois dernières années. Qu'en sera-t-il lors de la 20e, 30e ou 40e édition avec le réchauffement climatique?

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

5. Kilomètres

175: c'est le nombre de kilomètres que les participants auront parcouru cette année en six jours entre le gîte du mont Albert et Gaspé. «Des kilomètres gaspésiens», précisons.

«Méfiez-vous toujours quand on vous dit que vous êtes presque arrivés, c'est toujours plus loin, plus long, plus dur!» a mis en garde l'astronaute Julie Payette, à la veille du départ, son neuvième.

Le parcours changeant chaque année, la TDLG cumule 3000 km au compteur depuis 10 ans.

Heureusement que le transport des bagages est assuré par autobus d'une destination à l'autre!

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

6. Âge

Il n'y a pas d'âge pour faire la TDLG. Ce ne sont pas les têtes grises qui manquent  le groupe des 50 à 59 ans est le plus nombreux, suivi des 60 ans et plus - et ce sont souvent les plus rapides!

À l'inverse, certains commencent terriblement jeunes: Clovis Roy-Bernier (ci-dessus) n'avait que 6 ans lorsqu'il a bouclé son premier circuit et n'en a jamais raté un depuis.

Merci à l'école qui lui permet ce congé exceptionnel.

Oui, il a bien emporté ses devoirs. Non, les skieurs n'ont pas tous droit au même après-ski...

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

7. Économie

Le vice-président du comité ministériel de la prospérité économique, le ministre Clément Gignac, a fait acte de présence au lancement de la 10e TDGL.

Étrange? Pas tellement quand on sait que l'événement a donné un sérieux coup de pouce à l'industrie du tourisme hivernal en Gaspésie. Ses retombées s'élèveraient à quelque 1,14 million$ en 2011 et elle aurait permis la création de 8 emplois à temps plein  bien qu'il faille de plus compter sur près de 150 bénévoles (dont une accordéoniste!) débordants d'enthousiasme.

Le succès est tel que les 40 places disponibles en dortoir (la formule la moins chère), se sont envolées en 6 heures cette année!

Du coup, les organisateurs lui ont fait une petite soeur: une traversée de la Gaspésie à vélo, qui aura lieu pour la première fois cet été. Inscriptions: tdlg.qc.ca

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Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

8. Gestion

Mine de rien, il faut être bon gestionnaire pour ne manquer de rien pendant les étapes.

Économiser ses provisions d'eau et de nourriture, ses vêtements de rechange et surtout son énergie pour ne pas arriver à plat à 5 km de l'arrivée.

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

9. Éphémère

De Gaspé à Percé en passant par Val-d'Espoir, la plupart des sentiers suivis sont uniques ne vivront que pendant la TDLG, ouverts et balisés le matin même par les motoneigistes, effacés les jours suivants par le vent, la neige ou les rayons du soleil.

C'est la seule occasion pour le commun des fondeurs de gravir le mont Albert, un exploit autrement réservé aux experts du ski de haute route.

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

10. Sécurité

La blague circule que la TDLG est le meilleur endroit où tomber malade au Québec eut égard au nombre impressionnant de médecins inscrits.

«Faut croire qu'on aime se garder en forme», dit l'un d'eux. Mais à part quelques engelures, foulures, étirements, aucun incident n'a entaché les 10 dernières années.

Et chaque soir, massothérapeutes et physiothérapeute sont là pour panser les muscles endoloris.

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse