Devant les prévisions météo, je deviens blême. De la neige, du froid et de la pluie, voilà le pronostic pour les deux prochains jours. Et moi qui m'en vais à la pêche!

Mes amis, normalement jaloux lorsque je pars taquiner le poisson, ne m'envient pas du tout. Avant mon départ, on me téléphone pour me prendre en pitié. «Tu vas te les geler!» ricane l'un d'eux. «Aujourd'hui, je préfère travailler qu'être dans une chaloupe», ajoute un autre. Mais, réservations faites, pas question de reculer. Advienne que pourra.

 

C'est donc sous une température exécrable que je quitte les bouchons de Montréal, en compagnie d'un brave ami pêcheur, pour le Fairmont Kenauk, réserve de chasse et pêche du Château Montebello, située à un peu plus d'une heure de route de Montréal.

De club privé à pourvoirie

Le Kenauk, c'est un immense territoire sauvage de 265 km2 (cinq fois plus vaste que le parc national du Mont-Orford) qui faisait autrefois partie de la seigneurie de Louis-Joseph Papineau. En 1930, les descendants du chef des Patriotes vendent leur domaine à des promoteurs qui y érigent, sur les berges de la rivière des Outaouais, le Château Montebello. Quant à l'arrière-pays, il devient le terrain de jeu du Seigniory Club, club privé qui regroupe des membres de la haute société.

Dans les années 70, le Kenauk, l'une des plus importantes réserves privées de chasse et pêche en Amérique du Nord, a changé de vocation pour devenir une pourvoirie haut de gamme ouverte à tous. Cependant, les gestionnaires nous invitent encore à vivre une expérience digne des anciens. Sur ce vaste territoire, les chalets sont peu nombreux (13 au total), éparpillés (un seul chalet par lac dans la plupart des cas) et leur décoration, dans le style rustique, rappelle la douce époque des clubs privés.

Quant à la pêche, on y fait les choses différemment. Dans certains lacs, la remise à l'eau est obligatoire depuis une trentaine d'années. Résultat: des monstres aquatiques y nagent en abondance. «La réputation de certains lacs, comme le Maholey, où foisonnent les achigans de grande taille, dépasse même les frontières», affirme Bill Nowell, directeur des activités récréatives au Fairmont Kenauk. Autre point distinctif de cette pourvoirie: l'ensemencement ne se fait pas avec des ménés. «Nos poissons ensemencés mesurent 12 pouces minimum», affirme M. Nowell.

Et comme jadis, on y offre des services de guides. Le but: aider les visiteurs à percer les secrets du lac Papineau, immense plan d'eau de 1290 hectares qui constitue le joyau naturel de cette réserve. «Parsemé d'îles, de baies et de hauts fonds, le lac Papineau représente tout un défi, même pour les pêcheurs expérimentés», soutient Claude Cromp, guide professionnel attitré du Kenauk, qui a comme tâche de nous accompagner dans notre première expédition sur le lac Papineau.

Une pêche exceptionnelle

En plus de nous révéler les caches à poissons, ce guide sympa en profite pour nous initier à la pêche à la mouche, une première pour mon ami et moi. Contrairement à des guides que j'ai connus, M. Cromp ne pêche pas pendant notre aventure. Il veut partager ses trucs et non démontrer ses prouesses, une approche assez rare chez les pros, avouons-le.

Notre objectif: dénicher quelques touladis, espèce de la famille des salmonidés (truite et saumon), se cachant dans les profondeurs du lac. Pendant qu'on manipule la soie, il neige et il souffle un vent glacial. Il n'y a personne sur le lac sauf nous. On les comprend. Même habillés comme des ours, on grelotte. Je commence à penser que mes amis avaient raison de me plaindre...

Puis, un poisson avale ma mouche. Je ressuscite de mon hypothermie tandis que ma canne plie en deux. Sous mon regard éberlué, une truite arc-en-ciel bondit hors de l'eau, engageant un long combat dont je sortirai vainqueur. Dans la demi-heure qui suivra, deux autres truites arc-en-ciel se retrouveront dans mon filet. Le ravissement se lit sur les lèvres de mon guide, car les truites arc-en-ciel constituent une rareté dans ce lac. «Wow, c'est une pêche exceptionnelle!» me dit-il. Message aux amis: pêcher sous la neige, ça vaut le coup!

Le lendemain, le soleil brille de tous ses feux au Kenauk. Heureux, on quitte le chalet Cedar (grand luxe en pleine forêt), où on a passé la nuit, pour remettre ça sur le lac Mills, petit plan d'eau sauvage regorgeant de salmonidés. Quatre belles grosses truites se sacrifieront pour notre plus grand plaisir.

Bilan de mes 24 heures au Kenauk: 7 truites dans ma besace, des paysages immaculés ancrés dans ma mémoire et la satisfaction d'avoir découvert un autre trésor caché du Québec. Quant à mes amis, ils sont morts de jalousie!

www.kenauk.com

Service de guides: www.protechnique.ca