Trouver refuge à plus de 2000 m, à la frontière de la Suisse et de l'Italie, dans un hospice... comme il y a 1000 ans, voilà une expérience unique. Mais pour grimper là-haut, il faut y mettre du sien.

L'homme avance péniblement, au milieu d'une violente tempête de neige. Puis, catastrophe: le voilà qui disparaît sous une énorme avalanche! Heureusement, un chanoine en costume accourt, accompagné d'un gros chien saint-bernard qui découvre le malheureux et lui offre le remontant contenu dans le petit baril qu'il a au cou. Applaudissements.

Le cinéma nous a présenté plusieurs versions de cette histoire, toutes situées au col du Grand-Saint-Bernard, une échancrure dans les Alpes qui permet de passer de la Suisse à l'Italie à 2473 m d'altitude. Et de fait, l'endroit est particulièrement ingrat, même en été: pas de végétation, de la pierre partout, une étroite route en lacet ouverte seulement du 1er juin au 15 octobre. À la mi-juillet, il y avait encore de la neige au sol. Imaginez en janvier...

C'est pour aider les voyageurs désespérés que les chanoines de saint Augustin y ont construit un hospice. Qui accueille toujours les visiteurs, presque 1000 ans plus tard. Mais ce ne sont plus les victimes de la montagne et des brigands qui cognent à la porte, depuis qu'un tunnel de 6 km relie les deux pays en contrebas.

«Notre vocation a changé, explique le prieur, José Mittaz. Nous sommes devenus une maison pour prendre du recul, trouver une oreille attentive, refaire le point dans sa vie. Un hospice en montagne, c'est une parabole de l'élévation, celle de l'esprit.»

Les vieux bâtiments sont austères, dépouillés, mais confortables. Il n'y a pas de serrure à la porte: ici tout le monde peut entrer. Et on ne s'en prive pas: de 4000 à 5000 nuitées en été, 6000 en hiver. L'hospice n'accueille que ceux qui arrivent à pied ou à vélo, en raquette ou en ski de fond l'hiver, au terme de 2h30 de marche sur des sentiers parfaitement balisés. La nuit en dortoir, avec petit-déjeuner, coûte 30 francs suisses.

Qu'on se rassure, un petit hôtel adjacent peut dépanner les automobilistes moins motivés, tout comme une auberge du côté italien: nous sommes en effet presque carrément sur la frontière entre les deux pays.

Les locaux de l'hospice sont propres et simples. Il y a des chambres à quatre lits, des dortoirs à huit. On mange à la cafétéria, la messe et les offices sont tout à fait facultatifs. Les trois chanoines et les deux religieuses oblates accueillent avec chaleur les arrivants, qui y passeront généralement entre une nuit et une semaine. Un «Trésor» constitué de dons de visiteurs - certaines pièces remontent au XIIIe siècle - et un musée relatant l'histoire de ce relais ouvert en l'an 1050 sont à leur disposition.

Un hospice construit à une altitude pareille requiert une organisation bien rodée: comme la route est fermée pendant sept mois et demi chaque année, il faut faire d'énormes provisions pour nourrir les religieux, les employés, les bénévoles - dont beaucoup de Québécois - et, bien sûr, les visiteurs. Tout l'hiver, c'est à dos d'homme que ce qui manque devra arriver... sauf une livraison de pain en mars par hélicoptère!

Une race attachante

Et les chiens? Toujours là, bien sûr, puisque c'est ici que la race des saint-bernard a été fixée. Ce ne sont toutefois plus les chanoines qui s'en occupent: manque de temps et d'expertise pour garder sa pureté à la race, désir de se consacrer davantage au volet spirituel de leur démarche. Un groupe indépendant, la Fondation Barry, a pris le relais. Elle s'occupe d'une trentaine de bêtes au total, dont la plupart montent à l'hospice l'été.

De beaux chiens adroits et attachants, qui ont un sens de l'orientation extraordinaire, même en plein brouillard. Et le pif pour vous retrouver un promeneur enseveli. «Ce ne sont cependant pas les meilleurs chiens d'avalanche. Ils sont trop lents, trop lourds. Maintenant, lors d'une urgence, on va plutôt héliporter sur place des races plus légères, comme les bergers allemands», raconte Anja Ebener, une responsable de la Fondation.

Adorés des enfants, ces animaux joviaux et intelligents ont... leur propre musée à Martigny, où ils passent l'hiver. On s'attend à découvrir une sorte de grosse niche avec des os du Moyen Âge, et on tombe sur une présentation ultramoderne, ludique, pleine d'informations non seulement sur les chiens et leur pedigree, mais aussi sur l'hospice, les chanoines et sur le col lui-même, un haut lieu de passage depuis l'antiquité.

Même l'épopée cinématographique des saint-bernard, de très nombreux films en fait, est expliquée de façon très active. On y apprend plein de choses intéressantes... et d'autres qu'on aurait préféré ignorer: vous savez, le petit baril de rhum au cou des chiens? Eh bien, c'est un mythe!

Info: gsbernard.net