Une jolie embarcation en teck accoste sur le quai de l'île de Mazzorbo, à côté de Burano, dans la lagune de Venise. Au gouvernail: un homme dans la fin de la trentaine, à l'allure zen et décontractée. Il nous fait monter à bord avec une belle galanterie, puis nous rejoignons le chenal. Au large, les eaux sont vert jade et parsemées d'îlots et de grands roseaux. Nous nous dirigeons vers un lieu magique, beaucoup plus serein que la Sérénissime et ses milliers de touristes.

Isola Santa Cristina était un havre de paix pour la famille Swarovski. Une île privée où les paons se pavanent, où figuiers, pruniers, abricotiers, oliviers et vignes donnent des fruits abondants, où la flore s'exprime dans toute sa splendeur.

Nous y sommes accueillis par Mila, la jeune chienne enjouée du domaine. Entre le hangar à bateaux et la maison, nous empruntons un petit chemin en dalles terracotta, sous une pergola d'arbres exotiques et de vignes. Sur la grande terrasse couverte, la maîtresse de maison, Sandra Deutsch, se prélasse. Elle nous reçoit avec l'élégance d'une yogini aristocrate et nous invite à nous asseoir. René, notre timonier (!), se met à raconter l'histoire d'Isola Santa Cristina.

«Mon beau-père, Gernot Langes-Swarovksi, a acheté l'île en 1985. Il adorait venir ici. Puis il a été victime d'un AVC et a été confiné à un fauteuil roulant. C'était moins évident de venir dans l'île», explique celui qui gagnait sa vie dans les affaires avant de passer deux ans dans un ashram avec sa femme.

La famille a donc songé à vendre l'île. Des sept enfants et beaux-enfants, c'était René et sa femme Sandra qui se sentaient les plus attachés à ce petit paradis. Défenseurs de l'environnement, amateurs de yoga et grands hédonistes, ils ont saisi l'occasion et transformé Santa Cristina en «écoresort» de grand luxe.

Qu'on y organise une retraite de yoga, un week-end de filles ou une réunion de famille, cet éden de 30 hectares (75 acres) est à louer depuis 2016. La maison peut accueillir jusqu'à 16 personnes pour la somme pas si astronomique de 2900 euros la nuit (281 $CAN par personne, au maximum de sa capacité). Bien sûr, la facture peut vite grimper si on réserve les services d'un chef privé, d'un ou d'une prof de yoga, d'une équipe de ménage et qu'on organise des sorties à l'extérieur de l'île.

La maison principale, construite en 1870, compte neuf chambres, une cuisine complète, une grande salle à manger, un spacieux salon double, un studio de yoga, une terrasse couverte avec foyer, une autre terrasse ouverte, une piscine aux contours en bois. Les dernières rénovations datent de 2015. On a voulu créer de grands espaces lumineux qui évoquent la maison de plage haut de gamme, avec murs et rideaux blancs, meubles crème et planchers de bois traités à la chaux.

Agriculture et pisciculture

Dans les projets de remise à neuf et de revalorisation de l'île auxquels René tient particulièrement, il y a l'agriculture, comme en témoignent le grand verger, les vignes et les potagers, mais il y a aussi le retour de l'aquaculture durable. À une certaine époque, le poisson était abondant dans l'île. Mais la ferme piscicole est tombée en désuétude il y a une vingtaine d'années. Avec l'aide de l'Université Ca'Foscari, à Venise, et de deux octogénaires heureux de faire partager leur expertise du valle da pesca, René tente d'assurer la survie d'un mode d'aquaculture aussi écologique que traditionnel.

Photo fournie par Isola Santa Cristina

Isola Santa Cristina, une île privée près de Venise, qui appartient à la famille Swarovski. Photos fournies par Isola Santa Cristina.

«C'est un système entièrement naturel, qui fonctionne avec les marées. Il faut suivre l'horaire de la nature. Régulièrement, on ouvre les vannes et on renouvelle l'eau de la ferme. À terme, si nous la traitons comme nous souhaitons le faire, l'eau sera plus propre qu'elle ne l'était lorsque nous sommes arrivés ici. Non seulement ne va-t-elle pas contaminer la lagune, mais elle y contribuera de manière positive. De plus, en venant étudier l'île, les biologistes marins ont retrouvé des espèces qui n'existaient plus ailleurs dans la lagune. C'est tout un écosystème qu'il faut apprivoiser.»

Si tout va comme prévu, donc, les clients d'Isola Santa Cristina devraient sous peu pouvoir manger de la dorade, du rouget et du loup de mer (branzino) pêchés dans l'île. Les bassins ont été ensemencés quelques semaines avant notre petite excursion, au printemps dernier. L'objectif est d'atteindre l'autosuffisance.

La visite étant terminée, René nous ramène à Mazzorbo, devant le domaine Venissa, où, plus tôt, nous avions dîné et visité les vignes. Propriété de la grande maison de prosecco Bisol, cet «oeno-resort» avec restaurant étoilé Michelin est un autre petit havre de luxe et de paix où l'on peut s'échapper des hordes de touristes. Il n'y a pas à dire, ces îles sont (étaient!) le secret le mieux gardé de Venise.

Photo fournie par Isola Santa Cristina

Isola Santa Cristina, une île privée près de Venise, qui appartient à la famille Swarovski. Photos fournies par Isola Santa Cristina.