S'extasier devant la maison de son aïeul, humer l'air des quartiers où résidaient les pionniers, marcher dans les pas de Jacques Cartier... autant de façons de vivre le tourisme généalogique, auquel s'adonnent de plus en plus de Québécois en France. Introduction à un voyage à nul autre pareil, au gré de nos racines familiales et sociales.

Quête dans les méandres du passé, le tourisme généalogique, qui consiste à retrouver les lieux de vie de ses aïeux sur le Vieux Continent, déchaîne des passions auprès des Québécois, nombreux à se lancer sur les traces de leurs ancêtres en France, ou en Irlande et en Angleterre.

« On trouve des touristes généalogistes amateurs qui voyagent pour faire des recherches historiques sur leur famille, et ceux sans prétention généalogique qui y vont par simple curiosité », relève Pascale Marcotte, professeure au département d'études en loisir, culture et tourisme de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Ainsi, tout parcours se révèle propre à chacun, en fonction de son passé familial et des connaissances historiques qui ont pu être retrouvées et conservées. Les plus chanceux peuvent ainsi visiter la maison autrefois occupée par leur ancêtre ; d'autres doivent se borner à explorer quartiers, villages et églises où se tinrent baptêmes et mariages.

Ces lieux de visite se concentrent, logiquement, dans les régions qui constituèrent des foyers d'émigration vers la Nouvelle-France : la Normandie (et tout particulièrement le Perche), le Poitou-Charentes et l'Île-de-France, notamment.

De plus en plus populaire

Cette curiosité semble s'aiguiser au fil des ans, avec la multiplication du nombre de voyageurs se prêtant à ce jeu de piste généalogique. « On voit passer de plus en plus de Québécois, et cela ne cesse d'augmenter. Actuellement, on en reçoit une soixantaine par an », constate Francis Pilfert, maire de Randonnai, village d'origine de la famille Tremblay, niché au fin fond du Perche (à 140 km à l'ouest de Paris).

Cette tendance, liée à la croissance globale du tourisme ainsi qu'à l'accès plus aisé aux données généalogiques, pourrait aussi s'expliquer par une conscience historique plus aiguë des générations vieillissantes.

« On observe un vieillissement de la population, laquelle est plus scolarisée que les générations précédentes et va davantage s'intéresser à la généalogie », souligne l'universitaire Pascale Marcotte.



Photo Sylvain Sarrazin, La Presse

Un penchant qui n'a pas échappé à certains villages, qui n'hésitent pas à mettre en valeur ces vestiges et lieux de mémoire. C'est le cas de Tourouvre, en Basse-Normandie, qui fut un bassin majeur de pionniers en Nouvelle-France. Çà et là, on dénote des hommages aux grandes familles du Québec : dans l'église, avec des vitraux et des plaques commémoratives (Mercier, Boucher, Giguère, Gagnon, etc.) ou dans les rues (place du Québec, salle Félix-Leclerc). Tourouvre a également érigé un musée de l'émigration française au Canada, relatant l'épopée des pionniers du XVIIe siècle.

Ascendants et descendants

« C'est mon 39e voyage en France, et probablement le dernier », lâche Jean-Paul Gagnon, résidant de Saint-Lambert passionné de généalogie, parti en juin lancer un ultime adieu à la terre de ses aïeux, de Versailles à Brest. Aujourd'hui âgé de 94 ans, il a écumé sans relâche les traces de ses ancêtres Gagnon, anciennement Gaignon, incitant même les descendants français à s'intéresser à leurs origines.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse

Le village de Tourouvre, dans la région du Perche, foyer de pionniers partis en Nouvelle-France.

« Ici, au Québec, on veut savoir d'où on vient et on découvre souvent des éléments historiques que les Français ne cherchent plus », souligne le passionné, qui continue de consigner ses recherches dans des ouvrages.

Sur la feuille de route de ses nombreux voyages l'incontournable lieu-dit de La Gagnonnière, berceau de la branche québécoise de la famille Gagnon. Ce regroupement de vieilles bâtisses, en Basse-Normandie, constitue un véritable lieu de pèlerinage familial, même si le doute plane sur la demeure exacte qui fut autrefois occupée par les frères Gagnon.

Autre lieu apprécié par Jean-Paul Gagnon lors de ses séjours, le Château de Villaines, dans la Sarthe (au sud de la Normandie), ayant appartenu à un certain Louis de Gaignon. Le Québécois y organise même des retrouvailles avec des descendants de la branche familiale française.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse

Le château de Villaines.

Des générations plus jeunes aussi intéressées

Certes, nombreux sont les aînés à entreprendre des recherches et à se déplacer sur les traces de leurs ancêtres, mais les générations plus jeunes font aussi montre de curiosité.

Lors de notre visite de la maison Rivard, à Tourouvre (en Basse-Normandie), un couple de Québécois dans la jeune trentaine venait tout juste d'explorer les lieux.

« Ils cherchaient la maison de leur ancêtre depuis une semaine, sans la trouver, relate l'actuelle propriétaire des lieux, qui en a fait sa maison de vacances. Finalement, ils ont cogné à la bonne porte le tout dernier jour, juste avant leur départ. Je peux dire qu'il y a eu des larmes ! »

Autre exemple : Isabelle Dion, résidante de Québec venant de franchir le cap de la quarantaine, est partie s'aventurer sur les sentiers de Compostelle, mais n'a pas hésité à faire un détour par la Basse-Normandie. « J'étais curieuse de découvrir les escaliers construits par mon ancêtre Jean Guyon dans l'église de Tourouvre », confie-t-elle.

Comment expliquer le rajeunissement de cet engouement pour le tourisme généalogique? 

«On trouve divers facteurs dont, entre autres, l'éclatement des familles et l'apparition de nouvelles structures familiales, avance Pascale Marcotte, professeure à l'UQTR. Pour certaines personnes, aller faire ce voyage, c'est remonter plus loin dans le temps, et une façon de tisser le fil de sa propre histoire, de mieux comprendre d'où on vient. Le besoin de reconstituer l'histoire familiale peut apparaître plus important dans une société où on connaît une diversité de modèles familiaux.»