Vins, choucroute, tartes flambées, l'Alsace compte plus d'une délicieuse spécialité. Tournée du pays par les papilles... en commençant par le pinard, comme il se doit.

Des vignes dorées qui dansent à perte de vue, le mont Saint-Odile qui bombe le torse, la Forêt-Noire qui se profile dans l'horizon allemand... de Strasbourg à Barr, de la ville à la vigne, moins de 30 minutes de voiture suffisent.

En ce vendredi frisquet et pluvieux d'octobre, les oenophiles savent pourtant qu'il ne faut être nulle part ailleurs: tous les ans depuis 1952, le petit village vosgien organise un week-end carnavalesque où les célèbres vins blancs d'Alsace sont sur toutes les lèvres. Si la Fête des vendanges donne le coup d'envoi symbolique à la récolte des raisins au pays de Barr et du Bernstein, elle marque plutôt la fin du labeur pour bon nombre de vendangeurs.

Lors de notre passage, l'an dernier, quelque 20 000 employés saisonniers s'étaient déjà agenouillés dans les vignes d'Alsace pour donner vie aux meilleurs crus: riesling, pinot gris, sylvaner, klevener ou encore gewurztraminer alsacien, dont les premiers pieds sont nés ici même, à Barr, la capitale viticole du Bas-Rhin. Dix travailleurs s'activaient dans le vaste domaine du vigneron Yann Herr, qui exploite avec son père dix hectares de vignes répartis dans cinq villages.

Le jeune homme participe aux vendanges de la mi-septembre à la fin de décembre, des récoltes tardives qui donneront vie aux vins de glace. «Le but est surtout de permettre aux raisins [gelés] de continuer leur maturité, parfois jusqu'à l'extrême», explique-t-il. Une journée typique de cueillette débute à 5h30, avec le contrôle des températures, des cuves et de la fermentation et se termine vers 23h, après un long travail de pressurage des raisins, de nettoyage des chais ou encore de surveillance de la vinification.

«La Fête des vendanges d'autrefois était l'occasion pour tous les vendangeurs, qui venaient souvent de loin, de se retrouver», note-t-il. C'est toujours dans cet esprit que les vignerons mettent la main à la pâte et festoient en goûtant les créations de leurs collègues.

Le petit village de quelque 7000 âmes a longtemps été le seul de la région à accueillir une célébration viticole à l'automne, si bien que, dans les années 50, des trains étaient spécialement nolisés depuis Strasbourg pour contenter les citadins curieux, explique Daniel Wolff, président du comité des Fêtes de Barr. Ces dernières années, la concurrence des régions avoisinantes est plus féroce, et les touristes s'éparpillent.

Trois jours de fête

En dépit de la météo, l'ambiance décuple lorsque les quelque 10 000 festivaliers français, suisses ou allemands, surtout, mettent le cap sur Barr. Le décor reste le même, marqué par ses rues pavées qui découpent les vignes, les maisons à colombages et les restaurants typiques où les Barrois partagent la tarte flambée. Les festivités démarrent avec l'élection d'une reine des vendanges et de ses dauphines, qui représenteront la ville tout au long du week-end.

Le lendemain, les chineurs vident leur grenier et font de Barr un immense marché aux puces. C'est l'occasion de boire un vin chaud - généralement un rouge acidulé auquel on ajoute des épices - et de mettre la main sur des petits trésors. Pas de chance: la pluie se met bien vite de la partie. «C'est comme ça tous les ans», nous diront plusieurs Barrois, ajoutant que cette malédiction fait désormais partie de la tradition.

En soirée, des fanfares nocturnes serpentent le centre, tandis que les festivaliers tapent des mains ou se risquent à une danse folklorique.

À chacun son char

Le lendemain, beaucoup de lève-tard «déjeunent» au familial Winstub du manoir, où ils grappillent dans d'immenses et divines flammekueches alors que les chars allégoriques prennent d'assaut les rues de Barr. Des milliers de fleurs de Hollande sont collées - souvent le jour même pour préserver leur éclat - sur les bolides à la fois kitsch et superbes, tirés par des tracteurs. Certaines associations de Barr s'acharnent toute l'année à construire le plus beau bolide en fonction du thème.

Lorsque le cortège s'efface au loin, les familles se dispersent et rentrent tranquillement au bercail. Sans dire un mot, elles se donnent toutes rendez-vous l'année prochaine pour célébrer le vin et la culture alsaciens. «On aime la vigne et on le montre», s'exclame Daniel Wolff.

La Fête des vendanges 2014 se tiendra à Barr du 3 au 5 octobre.

Tout feu, tout flamme

La tarte flambée est à l'Alsace ce que la poutine est au Québec. Dans les bars, les restaurants et les cuisines des campagnes, cette cousine de la pizza se perpétue et s'invente à toute heure du jour. Mais les puristes s'inquiètent de voir la recette originale, de tradition ouvrière, perdre du terrain au profit de l'industrie alimentaire qui la popularise aux quatre coins du monde.

Christian Leininger, qui travaille la pâte, la crème et le lardon depuis plus de 40 ans, est de ceux qui préfèrent la version originale. Dans la cour de sa maison, à Barr, le cuistot nous montre son four à bois mobile, qu'il trimbale partout en Alsace pour répandre la bonne nouvelle: sa fameuse flammekueche (littéralement tarte flambée, en alsacien). Son père, Ernest, a été le premier à servir le mets aux Barrois dès 1969.

Avant cela, les tartes étaient réservées aux repas familiaux et aux fringales intimes. «À cette époque, on n'allumait jamais le four à bois en pierre pour faire de la tarte flambée, mais plutôt pour faire du pain, souvent sur un four banal partagé par le village, raconte M. Leininger. On étendait les restants de pâte et on y ajoutait les ingrédients qu'on avait sous la main.» Ainsi, les paysans utilisaient souvent le surplus de lait caillé destiné aux poussins, le Bibeleskaese, les populaires oignons et les restants de viande, principalement le lardon.

«Pendant deux ou trois heures, le four produisait trop de braises pour cuire le pain; on en profitait donc pour y mettre la préparation.» Au fil de ces initiatives purement pragmatiques, la flammekueche prenait tranquillement forme.

Le cuisinier, qui souhaite maintenant étendre son art outre-Rhin, se fait un point d'honneur de rester fidèle à la tradition. Selon lui, trois critères définissent une tarte flambée réussie: le mode de cuisson - au four à bois obligatoirement -, l'attention accordée à la confection de la pâte - artisanale, obligatoirement (bis) - et la qualité du lard, qui doit être, là aussi obligatoirement, correctement fumé et salé.

Où manger une tarte flambée?

Le Binchstub

6, rue du Tonnelet Rouge, Strasbourg

Le Flamme&Co

53/55, Grand'Rue, Strasbourg

Lard et crème

4, rue Thann, Strasbourg

Sur la route de la choucroute

Quand on circule en voiture entre les villages vosgiens, une odeur aigre nous monte au nez. La cause? La fermentation... du chou. Impossible de se rendre en Alsace sans déguster une choucroute, devenue spécialité régionale sous l'influence allemande.

Lors de notre périple, nous avons eu la chance d'être reçus dans une famille de Barr. Et on ne rigole pas avec la choucroute alsacienne! Devant nous, un immense plat à partager où le chou fermenté, épicé et cuit au vin blanc se mêle aux patates et à un impressionnant assortiment de viandes: entre autres la saucisse de Strasbourg - ou la knack, reproduction allemande du bruit entendu lorsqu'on la croque -, le lard et la palette de porc fumé. La recette, qui se conserve longtemps grâce à la saumure utilisée, a d'ailleurs obtenu l'indication géographique protégée, un label décerné par la Communauté européenne.

L'Alsace produit quelque 50 000 tonnes de choucroute. Si de nombreux vins blancs rendent justice au fameux plat (comme le riesling ou le sylvaner), nos hôtes nous suggèrent une bière pour alléger un peu la digestion.

Les incontournables de la région

Mittelbergheim

Souvent cité comme l'un des plus beaux villages d'Alsace et de la France entière, Mittelbergheim s'exhibe après une marche d'une vingtaine de minutes dans les vignes depuis Barr. On y emprunte les chemins pavés qui sillonnent les maisons de pierres fleuries et on y déguste le fameux grand cru Zotzenberg, mentionné dans des documents viticoles dès 1372.

Château d'Andlau

Le monument historique a échappé à l'abandon et à la destruction grâce à des initiatives citoyennes et politiques, et subissait une importante cure de jeunesse lors de notre passage l'an dernier. Construit au milieu du XIIIe siècle, le château d'Andlau n'a ni la dimension ni le faste de son cousin du Haut-Koenigsbourg, mais se dresse loin des hordes de touristes. On circule ainsi librement - et à ses risques et périls - sur ses ruines fragiles.

Le mont Sainte-Odile

Près de 1 million de visiteurs, dont de nombreux pèlerins, convergent tous les ans vers l'abbaye de Hohenbourg, qui se dresse sur le mont vosgien Sainte-Odile, à 763 mètres d'altitude. Sur le toit du couvent, la statue de la sainte patronne d'Alsace et fondatrice du couvent (en 680) regarde dans la même direction que les touristes, là où la plaine d'Alsace et la Forêt-Noire allemande offrent un superbe panorama.