La course de taureau camarguaise n'est pas à proprement parler une course, encore moins une corrida, quoiqu'elle tienne un peu des deux. Hommes et taureaux y courent beaucoup, c'est vrai. Mais le taureau n'est jamais mis à mort. Ce serait plutôt un jeu dans lequel les hommes  les «raseteurs»  tentent, à l'aide d'un crochet qu'ils tiennent à la main, de s'emparer d'une cocarde, de glands et de ficelles fixés aux cornes de la bête. Ils ont 15 minutes pour y parvenir. Chaque attribut a sa valeur, qui augmente en fonction des enchères qu'y mettent divers commanditaires à mesure que le temps passe.

«La mémoire de la petite Manon, deux euros de plus  les ambulances de Bouillargues, deux euros de plus  l'association des amis des boules porte la cocarde à 15 euros», annonce l'animateur avec son bel accent de soleil.

Le taureau gratte le sol, pointe ses cornes redoutables, souffle par les naseaux. Un raseteur tente le coup. La bête se retourne et se lance à sa poursuite, tête baissée. Le jeune homme n'a que le temps de s'élancer dans la contre-arène. Hop! D'un mouvement leste, il s'accroche à la grille, le taureau bave de rage, fonce dans la barrière qui le sépare du raseteur et parfois saute carrément dans la contre-arène! Dans les gradins, la foule ne perd rien de l'action, qu'elle ponctue de oh! et de ah!

Il règne une joyeuse atmosphère de kermesse  ça rigole, ça s'interpelle, ça prend des notes... Pour tout dire, c'est un peu comme un match de hockey, en mieux: il faut de l'adresse, de la ruse et de l'endurance, mais il n'y a jamais de bagarre ni de gestes disgracieux.

On considère les raseteurs comme des héros, mais les vraies vedettes sont les taureaux. Un bon cocardier (c'est-à-dire un taureau brave, rusé et combatif), lorsqu'on le met à la retraite, mourra tranquillement de vieillesse dans sa manade. Si son propriétaire l'avait en très grande affection, il l'enterrera, debout s'il vous plaît, et le museau pointé vers la mer.

Les moins performants finissent bouffés en ragoût  comme les taureaux de corrida, d'ailleurs.