La tour Eiffel n'est pas la seule tour digne d'intérêt de Paris. À l'opposé de la Dame de fer se dresse fièrement le minaret de la première et plus grande mosquée de la capitale française. L'un des secrets touristiques les mieux gardés pour redécouvrir la ville sous un angle résolument différent.

Le mois de septembre est bien commencé et pourtant le soleil plombe comme aux plus beaux jours de juillet. L'air est sec. Le mercure dépasse allègrement la barre des 30 degrés. Sauf ici, dans cette petite cour intérieure bordée de figuiers, à l'ombre d'un imposant minaret. «Vous reprendrez bien un peu de thé à la menthe?» demande un serveur au teint mat, chemise blanche et veste noire, une pointe d'accent dans la voix. L'espace d'un instant, on ne sait plus très bien l'où l'on est. Cette musique orientale, ces parfums d'épices... À Casablanca? À Fès? Plutôt à Paris.

À Paris, oui, et en plein coeur de la ville de surcroît! Mais il suffit de franchir le seuil de la Mosquée de Paris pour se voir transporté à des milliers de kilomètres de là, dans un pays du Maghreb, une impression qui ne fera que s'intensifier d'une cour intérieure à l'autre, d'une salle de prière au souk, entre les femmes voilées, les parfums et les sons d'Orient.

La mosquée occupe près d'un hectare dans le 5e arrondissement. Le complexe a été imaginé par deux architectes français qui, à défaut d'être arabes, avaient vécu plusieurs années au Maroc. Ils se sont largement inspirés de la mosquée de Fès, avec tout le faste que cela suppose. Le minaret fait pas moins de 33 mètres. Le bas des corridors reliant entre elles les cours intérieures brille des mosaïques en pâte de verre bleu et turquoise si fines qu'on dénombre jusqu'à 7000 pièces par mètre carré. Les délicates enluminures d'un poème arabe guident le passant d'une pièce à l'autre. Le regard qui s'élève découvre des frises sculptées avec une précision d'orfèvre dans le stuc blanc du haut des murs, puis dans le cèdre d'Algérie du plafond.

Qu'importe sa religion, le lieu inspire le respect. Les cours intérieures ont été calquées sur les plus beaux modèles d'Andalousie, conçues pour conserver la fraîcheur pendant les chaleurs torrides de l'été et évoquer une certaine conception du paradis. Tous les sens sont stimulés dans le jardin d'Honneur: l'ouïe, avec le bruit de l'eau qui circule dans la fontaine, la vue et l'odorat, grâce à la multitude de fleurs colorées ou encore le goût avec les arbres fruitiers.

Une longue attente

Il faut dire que la construction de la mosquée de Paris, inaugurée en 1926, a été longuement murie. La communauté musulmane a essuyé plusieurs refus avant que l'État français n'accepte l'édification d'un lieu de culte en bonne et due forme. Le vent tourne pendant la Première Guerre mondiale: plus de 30 000 soldats d'origine maghrébine périssent au front. Paris salue l'effort de guerre des ses immigrants en donnant le feu vert à la construction de la première mosquée officielle dans l'Hexagone. Vingt ans plus tard, elle servira d'asile à des Juifs et à des résistants pourchassés par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd'hui, les fidèles y vont et viennent tous les jours pour leurs prières, les cours de religion ou rencontrer l'imam. Les immigrants y retrouvent une parcelle de leur terre natale, à la différence près qu'ici, le muezzin ne grimpe jamais les vendredis en haut du minaret pour faire retentir l'appel à la prière, qui résonne plus simplement à l'intérieur des murs de la mosquée. Mais des Parisiens de tous horizons la fréquentent. L'édifice n'est pas un ovni dans le quartier, il en fait partie intégrante. Ce jour de septembre, il est assailli par des groupes d'amies, des étudiantes, des mères et des grands-mères venues profiter de la journée qui leur est réservée au hammam, réputé pour être l'un des plus traditionnels de Paris. C'est aussi l'un des plus économiques: l'accès aux bains de vapeur et à la piscine coûte 15 euros, le gommage 10 euros, le massage 10 euros les 10 minutes. Et plusieurs forfaits sont offerts, incluant un repas au restaurant, un thé ou une pâtisserie... ou deux, ou trois ou quatre!

Les gourmands seront d'avis que la vitrine du salon de thé de la mosquée est l'une des meilleures raisons de s'aventurer jusque dans les environs du métro Jussieu. Il ne faut pas compter les calories, le choix est si vaste, entre les baklavas débordants de miel, les cornes de gazelles aux graines de sésame et autres douceurs à la pistache, vert tendre, ou à l'amande, dignes des meilleures pâtisseries de Casablanca ou Marrakech. Le parfum de fleur d'oranger est envoûtant. Le thé à la menthe est brûlant, même en été, et sucré à l'excès, comme il se doit de l'être. On s'attable dans l'une des deux cours intérieures du salon de thé ou, si l'on a une plus grosse faim, dans la jolie salle ocre du restaurant attenant pour un bon couscous à prix raisonnable.

«Ce qui est passé a fui; ce que tu espères est absent; mais le présent est à toi», dit un proverbe arabe. Certains endroits sont plus propices pour profiter du moment présent. La mosquée de Paris en fait partie.

S'instruire

On aime ou on déteste, mais on ne peut pas rester indifférent devant l'Institut du monde arabe de Paris, niché à quelques minutes de marche de la Mosquée. Revisitant à la sauce contemporaine l'architecture traditionnelle du Maghreb, le Français Jean Nouvel a dessiné un mur de sept étages constitué de quelque 240 moucharabiehs (fenêtres grillagées) des temps modernes pouvant s'ouvrir et se refermer en fonction de la luminosité. L'IMA est consacré à la promotion de la culture arabe sous toutes ses formes. On s'instruit grâce à la richissime collection de la librairie au rez-de-chaussée, on s'émerveille devant les oeuvres d'artistes contemporains présentées notamment dans le tout nouveau tout chic pavillon de l'architecte irako-britannique Zaha Hadid, conçu à l'origine pour Chanel, on applaudit aux spectacles de danse et de musique orientales présentés régulièrement. Et on se rassasie de la cuisine libanaise du café littéraire, au rez-de-chaussée, ou du restaurant au dernier étage, Le Zyriab, plus fin et formel, avec une vue panoramique sur Paris qui vaut à elle seule le détour.

Infos: www.imarabe.org

Goûter

Qui l'aurait parié il y a quelques années à peine? Le couscous se hisse désormais dans le club sélect des plats préférés des Français. Ce ne sont donc pas les endroits qui manquent dans la capitale pour en déguster. Mais par souci d'authenticité, on met le cap sur le quartier de la Goutte d'Or dans le 18e arrondissement pour un bain de culture nord-africaine, avec tout ce que cela implique de restaurants, salons de thé, pâtisseries, marchands d'épices et de tissus brodés. Planifiez votre excursion un mercredi ou un samedi matin pour attraper le marché Barbès, sous la voie de la station de métro du même nom.

Regarder

Paris accueillera du 16 au 25 octobre prochains, pour la quatrième année consécutive, un vaste festival de films maghrébins et franco-maghrébins d'hier et d'aujourd'hui. Printemps arabe oblige, la programmation de cette année mettra à l'honneur la Tunisie et la Libye. (maghrebdesfilms.fr).

Se balader

Les premiers cours d'arabe ont été offerts à Paris dès... le XVIe siècle! Et des messes sont désormais célébrées en arabe dans l'une plus anciennes églises de Paris, Saint-Julien-le-Pauvre. Les liens entre la communauté arabe et la France ne datent pas d'hier et ils sont étonnants. L'Institut du monde arabe de Paris offre tous les samedis des promenades commentées du Paris arabe historiques. Départ dans le Quartier latin et visites de la mosquée et de l'Institut du monde arabe incluses. Très instructif.

Réservations: www.imarabe.org

Prix: 15 euros.