Le véritable citron de Menton, avec sa peau jaune vif parfumée et son jus plus sucré, est devenu une denrée rare cultivée par une poignée de passionnés et convoitée par les grands chefs étoilés.

Depuis près de 80 ans, la ville de Menton rend hommage à son riche passé de port d'exportation mondiale de citrons, en célébrant la «fête du citron» (de la mi-février à début mars). L'occasion pour quelque 250 000 touristes de mitrailler sculptures et chars réalisés avec 140 tonnes d'agrumes espagnols...

«Le citron de Menton est un produit rare», précise en effet François Mazet, propriétaire «par passion» de la citronneraie du mas Flofaro, dont la récolte est vendue d'avance à des grands chefs, comme  Robuchon, Troisgros, Guérard, Ducasse ou Bocuse. «J'ai essayé de conserver cette tradition, mais peu de gens s'y intéressent», confie un brin pessimiste l'agrumiculteur, qui bichonne ses arbres depuis 45 ans sans produit chimique.

L'Association pour la promotion du citron de Menton recense une quinzaine d'agrumiculteurs cultivant le citron en complément d'autres activités. Ils produisent une centaine de tonnes par an, avec moins de 1500 citronniers.

On est loin de «l'âge d'or» qui a duré environ un siècle, de 1740 à 1840, raconte Philippe Rigollot, un jardinier féru d'histoire. La région comptait alors 80 000 citronniers, dont les fruits récoltés par les «limoneuses» et emballés dans du papier de soie de Gênes partaient en bateau vers toute l'Europe et l'Amérique.

«Le citron de Menton est plus gros, sa peau est plus épaisse et il a des qualités olfactives et gustatives particulières», décrit François Mazet, en grattant la peau d'un spécimen dont le parfum sensuel s'envole. «Il n'est pas aigre, sa teneur en sucre est quatre fois supérieure à celle d'autres types de citrons».

Le citronnier, l'un des rares arbres à produire des fruits toute l'année, est particulièrement fructifère (80 kilos annuels) dans ce coin de Méditerranée entre mer et montagne doté d'un climat tempéré quasi exempt de gel en dessous de 400 mètres.

Les citrons poussent sur des terrains en terrasses ou «restanques», protégés par des montagnes de 800 à 1200 mètres, qui bloquent les vents du nord. Un important écart de température entre soir et jour provoque une forte humidité qui arrose le sol calcaire.

Mauro Colagreco, un jeune chef argentin doublement étoilé dans son restaurant «Mirazur», arrivé par hasard à Menton voici six ans, est un inconditionnel «des particularités aromatiques» du citron local.

«J'essaie de mettre en valeur cet ingrédient typique du terroir», dit le chef qui possède une dizaine d'arbres dans son jardin pour confectionner son «menu spécial fête du citron», où il décline subtilement le fruit doré.

«On laisse certains citrons dans l'arbre pour qu'ils atteignent presque la taille d'un pamplemousse, développant une chaire blanche sous la peau. Cette texture blanche intéressante, comme une éponge presque sucrée, est servie crue ou en compote», décrit-il.

La peau parfumée s'utilise dans la traditionnelle tarte au citron déstructurée par le chef ou bien râpée sur des carpaccios de poissons, tandis que le jus agrémente l'huile d'olive. Une part de la récolte est confite  à l'orientale durant deux mois dans du jus de citron, du sel et du sucre.

Confitures ou liqueurs au citron, les épiceries fines de Menton regorgent de produits pour les touristes gourmets. Mais c'est aussi l'explosion du tourisme sur la Riviera, et son impact sur le foncier, qui a fait chuter le citron. Au 20e siècle, le gel a aussi décimé à deux reprises un grand nombre d'arbres, attaqués plus récemment par  la cochenille asiatique (un insecte) ou encore le mal sec (un champignon venu de Sicile).

Les producteurs et transformateurs se battent depuis 2004 pour obtenir «une indication géographique protégée» qui sera réservée au citron de Menton ainsi qu'à quatre autres variétés très proches, présentant les qualités génétiques définies par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Corse, spécialiste mondial des agrumes. Ils auront enfin une réponse en mai.