«Je ne me souviens même plus quand je suis arrivé ici.» Comme des dizaines de sans-abri, José, 68 ans, a depuis longtemps élu domicile à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Un «village» au confort relatif, devenu, au fil des ans, un casse-tête pour les autorités.

«J'ai un toit 24 heures sur 24, je peux manger, dormir, aller aux toilettes, me laver», résume-t-il tout en poussant son chariot de bagages. Et l'assurance jusqu'à présent de ne pas être chassé : les aérogares restent un espace public.

Avec sa veste bleue griffée Yves Saint Laurent - offerte par Emmaüs, qui récupère les objets trouvés non réclamés par les passagers - , José serait presque invisible dans la cohue de voyageurs, s'il n'était pas abordé par les travailleurs de l'association venus s'enquérir, comme chaque jour, de sa santé.

Emmaüs a recensé une centaine de sans-abri la nuit, une quarantaine le jour : «Cinquante-cinq pour cent sont Français, 45 % étrangers ou français ayant perdu leurs papiers», explique Christophe Pauvel, responsable de l'équipe de sept salariés, un bénévole et trois compagnons.

Une goutte d'eau comparée aux 58 millions de passagers annuels, mais un nombre qu'Aéroports de Paris (ADP) entend contenir, sous la pression, notamment, des compagnies aériennes.

«ADP ne veut absolument pas les voir ici. Nous avons ordre de ne rien leur donner à manger», confie l'employé d'une sandwicherie, suppliant de rester anonyme. «Je comprends ADP, mais, que voulez-vous, je suis humain, alors je leur donne des trucs sous le manteau, dit-il. Si on me dénonce, je suis viré sur-le-champ!»

Et il n'est pas le seul à s'émouvoir. «Depuis des années, je réveille avec un café une petite dame asiatique qui dort sur nos chaises», raconte une employée d'une chaîne de restaurant entre les terminaux B et D.

Elle admet toutefois être «sélective» dans sa générosité, «car sinon, on est envahi et certains SDF sont très agressifs». «Certains rentrent, se servent sur les tables, parlent mal aux clients ou les insultent. Une collègue a même été agressée», renchérit une employée d'un restaurant voisin, visiblement exaspérée.

Mais les salariés insistent : les sans-abri agressifs, drogués ou voleurs sont une minorité. La majorité est dans une détresse psychiatrique, même s'ils paraissent totalement «intégrés».

«Ils sont propres, ils voyagent par procuration, mais cela reste l'écume de la société», analyse le Dr Philippe Bargain, médecin d'ADP.

Partie du décor

Au terminal 2F, Nathalie, la quarantaine, fait même «partie du décor» : elle connaît tout le monde par son prénom, et n'ignore rien des emplois du temps. Nombreux sont ceux qui lui multiplient leurs attentions : café, verre d'eau fraîche, salade ou chocolats. Tout est bon pour lui signifier qu'elle existe au milieu de l'indifférence des passagers.

«À vrai dire, nous n'avions même pas remarqué qu'il y avait des sans-abri», dit, gêné, Barry, un Américain de 67 ans.

Pour dissuader les sans-abri de s'installer, ADP a décidé de fermer progressivement, d'ici novembre, les aérogares la nuit, exception faite des passagers munis de billets. «On peut penser que cela les incitera à accepter les hébergements proposés par Emmaüs», avance Franck Mereyde, directeur des terminaux E et F.

Car bien que Roissy offre un certain confort, cela reste de la survie, insiste Christophe Pauvel chez Emmaüs. «Il faut quatre nuits pour récupérer d'une nuit passée dehors», dit-il.