Bruno est dans l'île de Montserrat, où il a notamment rencontré le grand réalisateur Sir George Martin, alias le cinquième Beatle. Montserrat, où un volcan menace d'exploser à tout instant.

 

 

 

Antigua, un après-midi sur la plage 

Le soleil tape.

 

Un beau grand gaillard musclé aux cheveux longs, couvert de tatouages tribaux, est étendu sur une serviette jaune à côté d'une super belle petite blonde grillée à point, avec un bikini doré et de nouveaux ongles style manucure française. Elle lit un livre de Nora Roberts en buvant un cocktail exotique. Lui boit du Pepsi et lit la biographie d'Ozzy Osbourne.

Sans crier gare, il la soulève comme une plume, la pose sur son épaule et court pour la jeter à la mer. Elle proteste en riant.

«Je ne veux pas mouiller mes cheveux, Carlo !»

Il plonge avec elle. Ils ressortent ruisselants. Ils s'embrassent goulûment. C'est tellement beau.

On dirait de la téléréalité.

 

Plus loin, deux vieux amoureux gais osent se prendre par la main devant le Sandals, où une grande affiche indique : «Pour couples seulement.»

Je les salue. Ils éclatent de rire en me voyant. Je ne sais pas si c'est l'effet de mes tresses...

Et franchement, je suis heureux que les autres s'amusent parce que moi, je suis un peu ennuyé.

 

Mon amie Magalie arrive dans deux jours. Je voulais lui offrir un voyage spectaculaire, plein de surprises. Mais je me suis trompé de destination en magasinant sur l'internet : je vois bien qu'on choisit Antigua pour être tranquille... Que faire ?

Un garçon sort de l'eau en hurlant parce qu'il a posé le pied sur du mou gluant.

«J'ai marché sur un poisson mort !»

Sa mère s'esclaffe. Son père ronfle.

 

Devant, un gamin et sa soeur jouent dans le sable avec un seau et une pelle. La grande soeur dirige le chantier. Le petit frère, lui, n'arrête pas de parler, comme si chacun de ses coups de pelle découvrait un nouveau trésor... Le monde pourrait s'arrêter de tourner, ces deux-là ne s'en apercevraient jamais ! Ils sont beaucoup trop occupés à creuser un fossé autour de leur espèce de grosse montagne, avec un cratère au milieu et...

 

Wow ! Immense flash !

 

J'ai une révélation. Une vraie affaire. Comme le personnage de Richard Dreyfuss dans le film Rencontre du troisième type.

Je sais où aller.

 

Martinique, deux semaines plus tôt

 

La deuxième fois que j'ai entendu parler du volcan de Montserrat, c'était durant la visite des ruines de Saint-Pierre, le petit village au pied de la montagne Pelée, à la Martinique.

 

J'avais suivi un groupe de touristes menés par un guide qui leur expliquait de quelle manière l'éruption de la montagne, en 1902, avait complètement détruit l'ancienne ville. Puis, il a parlé du volcan toujours actif près d'Antigua, dans l'île de Montserrat...

 

Le groupe est parti et je suis resté seul dans le cachot du fameux prisonnier Louis-Auguste Cyparis, un des deux seuls survivants de l'éruption ; il occupait une cellule de pierre assez large pour faire un pas et assez haute pour qu'on puisse s'y déplier les genoux sans se péter la tête au plafond. C'est le seul bâtiment qui a tenu debout... Qui a dit que le crime ne payait pas?

 

J'étais donc là, assis par terre dans sa geôle, en silence, à scruter du regard les murs de sa cellule, à toucher le sol avec mes doigts, à chercher des indices : comment se sent-on quand c'est la fin du monde autour de soi?

Je me suis étendu sur la pierre froide. J'ai eu un long frisson.

Antigua, jour du départ

«Tu vas voir, ça va être génial !»

J'essayais d'être rassurant mais, au fond j'étais un peu gêné. Magalie, qui venait tout juste de débarquer, se retrouvait encore une fois à attendre en file à l'aéroport.

Elle cligne de l'oeil.

«Ton fameux volcan est mieux d'exploser...»

 

Dans la file, une enseignante de Paris, un tandem d'Allemandes, un couple de personnes âgées d'Angleterre, deux Canadiens, une Iranienne, quelques Montserratiens et nous. C'est tout ! Déjà, nous nous sentions privilégiés de faire partie d'un aussi petit groupe de voyageurs.

C'était le début des surprises.

 

D'abord, l'avion décolle à 17 h 45, avec deux heures de retard. Nous nous rendons jusqu'à l'île de Montserrat. Un vol de 20 minutes, en coucou de 15 places. Puis nous survolons le volcan, qui fume, et le moment est presque grandiose. Mais l'avion, au lieu de se poser, fait demi-tour.

 

Et nous rentrons à Antigua !

Bien entendu, à bord, les gens rouspètent. Le pilote nous déclare alors que l'aéroport de Montserrat était fermé lorsque nous sommes arrivés au-dessus de la piste.

«Désolé, ils ferment à 18 h !»

Magalie se tourne vers moi avec son plus beau sourire.

«C'est vraiment génial, Bruno.»

Elle se marre. Je suis vert. Le vieux monsieur anglais, assis derrière nous, hausse les épaules. Et il rit.

«Welcome to the West Indies !

- C'est souvent comme ça, ici ?

- Ah oui, mon cher ami ! Ici, on ne sait jamais ce que nous réserve le lendemain...»

 

Et toujours aucune trace de Sir George Martin.