Il était mignon. Il était équipé d'un frigidaire, d'un poêle à gaz et d'un four à micro-ondes. D'un lavabo en inox. De deux lits doubles sur planches.

Notre camping-car aurait pu être parfait.Mais il sentait un peu le Comet et le cheddar sec. L'eau qui sortait du robinet était jaune ; les vitres, grasses ; les sièges, durs, et le compteur indiquait 10 000 km. En considérant son état, nous avions unanimement déduit que cela devait plutôt signifier 310 000.

Les freins étaient robustes, mais trop serrés ; le véhicule était bien chaussé, la suspension avait déjà été changée (fiou !), mais la cinquième passait de peur (et de force), après un long grognement. On avait le sentiment qu'il serait solide comme un tracteur, mais bourru comme un âne ; on savait qu'il serait fiable, comme une vieille voisine, mais inconfortable comme le sac de couchage d'un ami qu'on n'a pas vu depuis longtemps.

On l'a baptisé affectueusement le Petit Québec.

Car vraiment, la vie était belle. Nous étions réunis, en famille, et nous avions six jours de parfait bonheur devant nous. Avec liberté totale. Avec zéro obligation. Avec Big Pete.

Et avec l'«Essentiel», façon Boris. Une grosse poche de patates, 36 oeufs, des nouilles Ramen à profusion. Du café instantané. Du bacon de la marque sans nom. Un sac d'oranges. Des carottes. Des cartes à jouer.

Et deux paquets de 25 saucisses longues.

***

Le soir précédent, dans les allées du Wooly, Boris me guide à vive allure. Le Wooly, abrégé pour Woolworth, est le magasin d'alimentation où les jeunes du coin trouvent les meilleurs prix. J'essaie de lui suggérer des plats.

«Des côtelettes de veau ?

- Pas achetables !

- Du poulet cordon bleu ?

- Tu veux rire ?

- Des hamburgers ?

- Oublie ça ! La viande est trop chère... Et en plus, pour quatre pains à hamburger, c'est cinq dollars ! Puis, ici, y'a pas de vraie mayonnaise. Le fromage est hors de prix. Les sauces sont bourrées de sucre. Mais la saucisse est bonne en ta, me jure-t-il en mettant deux paquets d'énormes saucisses dans notre panier à provisions.

- Cinquante ? T'es certain qu'on en aura assez ?

- J'ai calculé mes affaires. T'inquiète pas, papa !

- Je ne m'inquiète pas... Je faisais de l'humour.»

Lorsque j'ai décidé de confier à Boris l'organisation du garde-manger pour la semaine, c'était pour sonder la nature de son régime alimentaire, en Australie.

Aujourd'hui, je ne comprends pas comment il a pu perdre du poids.

«C'est parce que je travaille fort !»

Hum. Je commence à te croire, mon fiston...

***

Au départ de Perth, après une courte période d'excitation, nous constatons vite que les distractions sur la route sont rares et précieuses en gériboire... Un chemin plus droit et plus plat que celui-ci, c'est la Transcanadienne entre Winnipeg et Regina.

Mais en restant bien éveillé et en se concentrant sur les détails, on remarque que, parce qu'on monte plein sud, le décor change ; que la végétation rapetisse, que la faune aviaire se diversifie, à la grande satisfaction du Gros Pierre l'ornithologue, et que les collines se déroulent doucement pour former à l'infini un grand tapis de sable orangé.

Magnifique.

Et dans le genre «route touristique», c'est très bien organisé. Lorsqu'il y a le moindre point de vue intéressant, on vous avertit un kilomètre à l'avance, par une affiche brune avec un appareil photo dessus. Et lorsque la distance entre certains villages est trop grande, on trouve des endroits où le café est offert gratuitement.

Ce sont des roadhouses.

Mi-restos, mi-motels, avec boutique intégrée et garage adjacent, ce sont des lieux aux allures mythiques, qui empruntent des airs de magasin général, avec leur façade en vieux bois de grange et leur fouillis indescriptible ; vous pouvez y déguster un cheeseburger de kangourou (pour 12 dollars) devant un joli mur de photos 4x6 de tatoué (e) s qui exhibent leurs tatouages et de pêcheurs qui dévoilent leurs prises, sous une tête empaillée de crocodile.

Pittoresque.

Puis, à chaque agglomération, le 88 FM Radio Touriste entre en ondes, avec les dynamiques animateurs John et Candy ; ils vous dressent un portrait sympathique de la région et vous renseignent sur toutes les activités à faire dans le coin...

«Ici, John, au village

de Horrocks, c'est EXTRA¬-

ORDINAIRE !

- Oui, Candy, c'est FANTAS-

TIQUE !

- C'est comme dans un RÊVE !

- Pince-moi, CANDY !

- MORDS-moi, John !»

D'accord, ils en mettent un peu. Les activités sont souvent limitées à regarder autour et à faire wow. Mais c'est un wow qui en vaut la peine.

En véhicule récréatif, dans la vaste contrée de l'ouest de l'Australie, le seul vrai hic sur la route, c'est à la tombée de la nuit...

Amateurs d'horreur, ne ratez pas le prochain épisode de Brun, Bo et Pet, au village des damnés !

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

Boris, Bruno et... le Petit Québec, sur la côte australienne.