L'enquête sur l'écrasement, près de Buffalo, du vol Continental Connection 3407, qui a fait 49 victimes le 12 février dernier, incite à se demander s'il est prudent de voyager avec un transporteur aérien régional. Sur six catastrophes aériennes ayant fait des victimes aux États-Unis depuis le 11 septembre 2001, une seule était le fait d'un transporteur majeur - et ce n'est probablement pas un hasard.

L'enquête du Comité national des transports sur la sécurité (National Transportation Safety Board) révélait que les pilotes des compagnies régionales, qui sont souvent des filiales des grands transporteurs (Delta Express, Continental Connection, American Eagle, United Connection, etc.), sont beaucoup moins bien rémunérés que leurs collègues des compagnies «majeures».

Un commandant de bord d'expérience employé par les «Big Four» (American, United, Delta et Continental) gagne 155 000$, alors que son collègue qui pilote pour une compagnie régionale ne perçoit qu'un salaire de 70 000 $. Un copilote débutant sur un court-courrier (une compagnie régionale) ne gagne guère plus de 25 000 $, alors que sa formation lui a probablement coûté 100 000 $.

Mais au-delà des salaires, ce sont les conditions de travail éreintantes de pilotes au rabais qui posent problème. Leurs affectations changent souvent. Si bien qu'un débutant, qui commence par être établi à Los Angeles (où il se trouve donc un logement), peut bien être muté à l'autre bout du pays six mois plus tard. Résultat: les commandants de bord d'expérience qui se sont acheté une maison sur la côte Ouest et sont mutés à Milwaukee ou à Austin préfèrent voyager pour aller travailler (naturellement, ils embarquent gratuitement sur les vols de leur compagnie).

Le New York Times, qui faisait récemment état de l'enquête, citait le cas d'un capitaine qui habite le nord du Michigan et doit se lever à 2 h 30 le matin pour prendre le vol de 6 h vers Chicago, d'où il ne décollera aux commandes de son appareil qu'à midi. Les jeunes copilotes, qui habitent souvent chez leurs parents faute de pouvoir payer le loyer d'un logement décent, font souvent eux aussi de longues heures de vol à titre de passagers avant de s'asseoir dans le cockpit.

Les deux pilotes du vol Continental Connection 3407, qui décollait de Newark, venaient respectivement de Floride et de Seattle. La fatigue, qui semble être le lot des pilotes des transporteurs régionaux, est aggravée par des conditions de vol plus difficiles. Les vols régionaux évoluent à plus basse altitude que ceux des grands transporteurs, ce qui implique des conditions météorologiques rendant le pilotage plus ardu - il y a plus de turbulences, notamment.

Au Canada

Les conditions ne sont pas meilleures au Canada. Dans un témoignage rendu le 20 mai sur le blogue Le courrier du voyageur, un commandant québécois d'une compagnie régionale expliquait qu'un pilote pouvait travailler jusqu'à 98 heures dans la même semaine. Pourtant, Transports Canada limite théoriquement le temps de vol à 60 heures pour sept jours consécutifs et à 120 heures sur une période de 30 jours. «Il est important ici de faire la distinction entre «temps de vol» et «temps de service de vol»», expliquait-il.

Le «temps de vol» est le temps passé dans l'avion. Le reste du temps, où le pilote vérifie la météo, analyse le plan de vol, remplit les papiers administratifs, etc., est additionné au «temps de vol» pour former le «temps de service de vol», qui est limité à 14 heures par jour, et qui n'est soumis à aucune limitation hebdomadaire ou mensuelle. Après ses 14 heures de travail, le pilote a droit à huit heures de repos, avant de pouvoir commencer une autre journée de 14 heures de travail. Le commandant ajoutait qu'il existe, au Québec et au Canada, des compagnies régionales sur lesquelles il ne permettrait jamais à sa famille de voyager.

Aux États-Unis, le Comité sur la sécurité n'a pas encore déposé ses conclusions sur l'écrasement de Buffalo, mais la fatigue des pilotes semble mise en cause.

Malgré ce sombre portrait, force est de constater que, chez nos voisins du Sud, le nombre de décès par million de vols a baissé des deux tiers en 10 ans. Le vol Continental Connection 3407 était le premier à faire des victimes en 30 mois.