C'est le nouvel élixir d'une jeunesse en quête de sensations : du sirop contre la toux avec de la codéine ou un antihistaminique mélangé avec du Sprite ou de l'alcool. Une mixture violette appelée « Purple Drank », « Sizzurp », « Lean » ou « Mud », popularisée par des DJ et des rappeurs américains comme Future, Soulja Boy, Young Thug ou Lil Wayne, qui a même été hospitalisé en 2013 après une surdose du savant mélange...

Ici, le phénomène est apparemment marginal, mais les expériences planantes de ses adeptes sont abondamment relayées sur les réseaux sociaux. La découverte récente du cocktail en France et au Québec a ainsi commencé à se propager.

Pourquoi en parle-t-on aujourd'hui ? Des cas d'intoxication au Purple Drank ont été rapportés par certains médias la semaine dernière à Montréal. Selon quelques jeunes interrogés par La Presse, le cocktail serait consommé dans certains cégeps. Le breuvage mauve est également apprécié par le milieu de la musique hip-hop. L'effet recherché ? La sensation de flottement ou d'engourdissement ressentie grâce à la combinaison de ces deux puissants dépresseurs : codéine et alcool.

La voix éthérée de Lil Wayne y est directement reliée. Idem pour le rappeur Future, qui a même écrit une chanson sur la fameuse boisson, Codeine Crazy. Son vidéoclip où les images floues se superposent sur fond violet magnifie l'effet hallucinogène du mélange.

 

Le rappeur québécois Skyzo Deniro, du groupe Casse-Croute, côtoie des musiciens qui se font régulièrement des cocktails de Purple Drank. Une pratique qui existe depuis cinq ou six ans, selon lui. « C'est un trip, dit-il. Ils en prennent pour se détendre avant un show, un peu comme on fume un joint. Dans leur cas, ça n'a rien à voir avec leur performance sur scène, c'est juste une façon de se geler. Ça arrive qu'ils vomissent, mais habituellement, ils contrôlent bien leurs quantités. »

Il y a quelques années, l'artiste visuel montréalais What is Adam a créé une oeuvre baptisée Maple Sizzurp avec une canette de sirop d'érable. « Je me suis inspiré d'une image iconique de la culture québécoise pour faire un lien avec le Purple Drank, a expliqué l'artiste à La Presse. C'était une façon pour moi de dire que nous sommes une nation de toxicomanes qui avons accès à presque tout [les médicaments] en vente libre... »

Des risques

La consommation de Purple Drank n'est pas recommandée, surtout en grande quantité. Au mieux, l'ingestion du mélange provoquera des maux de ventre et des vomissements, au pire, des palpitations, des convulsions et, dans certains cas, une détresse respiratoire. Les interactions avec d'autres médicaments, comme les antidépresseurs ou les médicaments utilisés pour traiter les cas de TDAH, sont aussi nocives.

Aucune hospitalisation n'a à ce jour été signalée au CHUM ou au Centre universitaire McGill, pas plus que dans les hôpitaux pour enfants. Mais en France, plus tôt ce mois-ci, l'Agence nationale de la santé et du médicament (ANSM) a sonné l'alarme après avoir signalé plusieurs cas d'intoxication. Le Partnership Drug-Free Kids déplore également la surconsommation de sirops contre la toux par des adolescents.

Vigilance dans les pharmacies

Le président de l'Ordre des pharmaciens du Québec, Bertrand Bolduc, est au courant du phénomène. Selon lui, il s'agit d'une mode, le Purple Drank étant le cocktail de l'heure pour des jeunes en quête de drogues récréatives « cool ».

« Les adolescents tentent depuis toujours de combiner des médicaments en vente libre avec de l'alcool, croit-il. Ce n'est ni la première ni la dernière fois que ça se passe. Mais je peux vous dire que depuis quelques semaines, les pharmaciens exercent une vigilance accrue par rapport à la vente de sirops. »

Les sirops à base de codéine sont en effet vendus derrière le comptoir du pharmacien. « C'est quelque chose qui doit être mis au dossier du client, donc ça prend une bonne raison pour en demander, explique Bertrand Bolduc. Des ados qui viennent en pharmacie le vendredi ou le samedi soir en toussotant, ça ne passe pas. On a communiqué avec nos membres récemment pour réitérer l'importance d'ouvrir un dossier pour chacune des demandes. »

De toute façon, une étude dévoilée par l'Ordre des pharmaciens du Québec il y a deux ans révélait que 70 % des médicaments d'ordonnance détournés par les adolescents provenaient du domicile familial. Selon cette étude, un adolescent sur huit avait admis avoir pris des médicaments pour se droguer. Ce qui fait dire au président de l'Ordre que les médicaments non utilisés devraient être ramenés à la pharmacie pour éviter qu'ils soient utilisés à de mauvaises fins.

Depuis le mois de janvier, tous les grands formats de sirops (de plus de 250 ml) sont vendus derrière le comptoir, affirme Bertrand Bolduc. Il reste les petits formats de sirops DM, qui demeurent accessibles et qui peuvent très bien faire l'affaire des jeunes lorsqu'ils sont mélangés avec de l'alcool. « Les gens doivent être conscients des risques liés à la consommation de ces cocktails, affirme M. Bolduc. C'est sûr que nous sommes aujourd'hui très vigilants par rapport à ça. »