La majorité des décès attribués au cancer pourraient être évités, soulignent les auteurs Richard Béliveau et Denis Gingras. Après Les aliments contre le cancer, Cuisiner les aliments contre le cancer et La santé par le plaisir de bien manger, ils publient Prévenir le cancer - Comment réduire les risques. Ils proposent une approche combative - à partir de 10 grandes recommandations expliquées et nuancées - pour mettre le cancer hors d'état de nuire. Le défaitisme n'a pas sa place, disent-ils. La Presse s'est entretenue avec Richard Béliveau.

Nous sommes fatalistes face au cancer, dites-vous. Pourtant, nous avons tort de nous sentir impuissants face à la maladie. Pourquoi?

En raison des progrès en génétique, on sait maintenant que certaines maladies sont associées à des gènes. On croit dès lors que tout est génétique ou héréditaire. Si certains gènes prédisposent au cancer, cette prédisposition n'est souvent qu'un des éléments impliqués dans la maladie. Pour la majorité des maladies chroniques qui nous tuent (le cancer, les maladies cardiaques, le diabète de type 2, l'alzheimer), on peut agir. Les gens ont l'impression qu'on attrape le cancer comme un virus ou une bactérie. Cette attitude fataliste nous empêche malheureusement de nous prendre en main.

Vous écrivez que nous sommes tous porteurs de tumeurs?

Cela peut surprendre, mais nous sommes effectivement tous porteurs de tumeurs. La division des cellules, c'est la base de la vie. On divise des milliards de cellules par heure dans le corps humain et on produit 1 million de cellules précancéreuses par jour. Celles-ci ont un génome suffisamment altéré pour que cette désorganisation chromosomique amène une prolifération cellulaire incontrôlée qui est à la base même du cancer.

L'humain est donc prédisposé au cancer?

Oui, tous les êtres vivants sont prédisposés au cancer. On retrouve des cancers dans toutes les espèces, on en a même retrouvé chez les dinosaures. La masse de 2 kg dans le foie qui vous tue à 65 ans a démarré d'une simple cellule. Tels des passagers clandestins en nous, ces tumeurs prolifèrent tranquillement pendant de nombreuses années. Il peut y avoir un délai de 20, 30 ou 40 ans entre l'exposition au facteur de risque et l'apparition des cancers. C'est vrai même pour les oncogènes les plus agressifs comme le tabac et les rayons ultraviolets. Pour cette raison, il faut créer un environnement physiologique le plus hostile possible au cancer afin de ralentir au maximum la croissance de ces microtumeurs dont nous sommes tous porteurs.

Comment peut-on agir concrètement?

Il est important de savoir que les recommandations présentes dans le livre viennent de grandes agences de lutte contre le cancer dans le monde, dont le World Cancer Research Fund (WCRF), qui a compilé 500 000 études. En quelques mots, il faut adopter un régime alimentaire méditerranéen, bouger, bien dormir et réduire les facteurs de risque.

Quels sont-ils, ces facteurs de risque?

Le numéro un, c'est le tabagisme. Or, il y a encore 20% de la population qui fume. Le cancer du poumon reste le premier tueur au Canada. On meurt plus du cancer du poumon que des cancers du sein, du côlon et de la prostate réunis. L'obésité est aussi associée à une augmentation extraordinaire du risque d'une quinzaine de différents cancers.

On sait depuis peu que, au-delà de l'inactivité physique, la sédentarité extrême est nocive, même chez les sportifs. C'est nouveau, on n'avait pas ces données il y a 10 ans. Il faut se lever pour boire de l'eau, prendre l'escalier, sortir sur l'heure du lunch, il ne faut pas être assis toute la journée. Dans quelques années, ce sera la norme de bouger en travaillant.

La consommation de viande rouge, dont la charcuterie, est aussi associée au cancer colorectal. Par contre, si vous évitez les portions de viande carbonisées et si vous marinez votre viande, vous réduisez de 90% l'importance de ce facteur de risque. Le WCRF recommande néanmoins un maximum de 500 g par semaine. C'est très peu.

L'effet de l'alcool sur la santé est plus complexe et les recommandations le sont tout autant. Souvent, les gens font des raccourcis intellectuels et interprètent les recommandations à tort. L'alcool (surtout le vin rouge) a un effet protecteur contre certains cancers, mais augmente le risque d'autres. Ça dépend des doses, du type d'alcool, etc. On a constaté une augmentation extraordinaire du risque de cancer de la cavité buccale (700%) chez les fumeurs qui buvaient. La synergie tabac et alcool est le cocktail le plus à risque.

La consommation de sucre, d'aliments riches en calories a aussi un impact. Mais c'est la chronicité de nos mauvaises habitudes qui est néfaste. Quand je regarde le football, le samedi, je mange des chips. Mais je ne prends pas trois boissons gazeuses par jour! On est sur le party continuel: on n'a jamais autant mangé de desserts dans l'histoire de l'humanité.

Vous abordez la question des suppléments. Doit-on les éviter?

Selon le World Cancer Research Fund, on ne doit pas utiliser des suppléments pour prévenir le cancer. Dans les études, la surdose de vitamines est même associée à une augmentation du risque de cancer. L'action biochimique des vitamines pose problème. Un peu, c'est bien. Trop, c'est mauvais. Même chez les personnes qui ont eu un cancer, leur utilité n'est pas prouvée. De plus, ça crée de façon insidieuse un faux sentiment de sécurité. Les gens ne mangent pas leurs végétaux, mais prennent des suppléments!

En va-t-il différemment de la vitamine D?

La Société canadienne du cancer recommande 1000 unités de vitamine D par jour. Il n'y a aucune ambiguïté là-dessus. Quand vous sortez 10 minutes l'été au soleil, votre peau produit 10 000 unités de vitamine D. Une dose de 1000 unités ne constitue pas une dose toxique. On parle de toxicité à partir de 50 000 unités. Une quantité adéquate de vitamine D est associée à une baisse de 50% du risque de cancers du sein et du côlon. Ce n'est pas marginal comme effet.

On entend souvent que l'anxiété, le stress et les émotions négatives peuvent mener au cancer. Est-ce vrai?

C'est une croyance extrêmement ancrée! Quand je dis que les études ne montrent aucun lien entre le stress et le cancer, les gens sont abasourdis. On aime ça, penser que le stress est responsable de tout. Les survivants des camps de concentration nazis ont les mêmes taux de cancer que la population juive du même âge. Les parents d'enfants décédés en bas âge ont les mêmes taux de cancer que les parents dont les enfants sont en parfaite santé. On arrive au même constat pour la dépression. Des épisodes de dépression majeure n'ont aucun impact sur le risque de cancer, et ce, même après 30 ans.

En insistant sur le fait que la plupart des cancers sont évitables, y a-t-il un danger de stigmatiser les malades en les culpabilisant?

Je ne pense pas. On ne connaissait pas ces données il y a à peine une dizaine d'années. Chacun a ses propres limites, ses propres déterminismes. On n'est pas à une étape de stigmatisation. On est face à un constat : 50 % du budget de l'État va à la santé et la principale dépense, c'est le cancer. Si chaque citoyen fait sa part pour prendre davantage soin de sa santé, on sauvera des milliards qu'on pourra mettre en santé sociale, dans les CHSLD, dans les garderies... J'en appelle plutôt à une prise de conscience et une responsabilisation individuelle et citoyenne.

Prévenir le cancer - Comment réduire les risques. de Richard Béliveau et Denis Gingras, Trécarré, 264 pages, 34,95$. En librairie.

Photo fournie par la maison d'édition