La popularité du yoga entraîne dans son sillage un nombre grandissant d'adeptes qui cherchent à approfondir leur pratique et rêvent d'en faire une profession. Dans la foulée, de plus en plus d'écoles offrent des formations de tout genre et de tout acabit. Petit guide pour mieux s'y retrouver.

Aux portes des écoles

Selon le Yoga Journal, rien qu'entre 2004 et 2010, le nombre de personnes pratiquant le yoga aux États-Unis est passé de 15,8 à 20,4 millions, une augmentation de près de 30%. C'est sans compter les 44,4% d'Américains qui aspirent à devenir des yogis. Nombre d'entre eux seront tentés de suivre une formation professionnelle pour enseigner le yoga à leur tour. Flairant la bonne affaire et pour répondre à la demande, nombreuses sont les écoles qui ajoutent désormais cette offre à leurs classes habituelles.

Il y a à peine 15 ans, à Montréal, il était presque impossible de trouver une école de yoga offrant des formations professionnelles destinées à l'enseignement de cette discipline millénaire née en Inde.

À l'époque, quelques écoles commençaient tout juste à s'établir et à donner des cours. Lyne Saint-Roch a été l'une des premières à amener le yoga plus «contemporain» à Montréal, puis à offrir des formations, dès 2003. «À l'époque, les gens faisaient une formation pas nécessairement pour devenir professeurs, mais pour étudier le yoga dans sa globalité: connaissance de soi, études de texte, méditation. Car le yoga ne se résume pas qu'aux asanas [postures]!»

Aujourd'hui, le paysage a bien changé dans la métropole. Non seulement les cours de yoga se retrouvent partout - des écoles indépendantes aux «chaînes» de yoga chaud Bikram ou Moksha en passant par les centres de conditionnement physique -, mais il existe de plus en plus d'endroits où des professeurs aux expériences variées offrent des formations pour devenir professeur de yoga.

«Dans certaines formations qui sont offertes, il y a une hâte et une nonchalance par rapport à l'histoire du yoga et à tout ce qui peut se passer dans un cours de yoga - au-delà des postures. Et, il faut le dire, les formations de professeurs sont payantes pour les centres de yoga», constate Marie-Daphnée Roy de Yoga Bhavana, qui a commencé à pratiquer le yoga Kripalu il y a 20 ans dans un ashram au Massachusetts et qui l'enseigne depuis 15 ans.À Montréal et ailleurs, la diversité règne effectivement dans les formations, selon ce qu'a pu constater La Presse. Entre la formation de 200 heures proposée par YogaFit Canada, qui peut être faite en cumulant 17 jours de cours et des études à la maison, à celle de 25 heures sur 3 week-ends de l'Association nationale des intervenants en entraînement (associée à Nautilus), en passant par des formations exigeantes de près de 400 heures s'échelonnant sur un an, la différence est énorme.

Résultat? Les gens font du «shopping» pour choisir leur «école», constate Hervé Blondon de Yoga Satyam, qui offre une formation axée sur l'enseignement traditionnel. «Le problème maintenant, c'est que les gens recherchent une formation qui convient à leur vision du yoga, sans savoir véritablement ce qu'est le yoga. Auparavant, les élèves choisissaient plutôt leur maître par référence, après avoir suivi ses cours, lorsqu'il y avait des atomes crochus.»

Standardisation à l'américaine

Standardisation, profitabilité, visibilité et marketing: l'Amérique façonne désormais le yoga à son image - et les formations n'échappent pas à cette règle.

Un mouvement mené notamment par Yoga Alliance (YA), fondé aux États-Unis au tournant du millénaire, s'est donné comme mission de créer un standard minimum pour les professeurs de yoga afin de mieux encadrer la pratique du point de vue professionnel. Le tout, en affichant un penchant affirmé pour le côté «business» du yoga.

«Traditionnellement, les gens se formaient auprès de maîtres, dans des ashrams, mais ils n'en faisaient pas un métier. Ils vivaient en communauté, en se retirant du monde d'une certaine façon. Yoga Alliance a voulu standardiser l'enseignement et bâtir un système qui allait offrir une reconnaissance professionnelle aux praticiens du yoga. Cela a permis de vivre en yoga, sans sortir du monde et en gagnant sa vie», explique Sylvie Tremblay, qui a fondé Yoga Sangha à Montréal il y a 15 ans.

La standardisation permet une certaine uniformisation et un contrôle de la qualité de l'enseignement offert. Éric Giasson, du studio Wanderlust, offrira dès le mois d'avril la toute nouvelle formation professionnelle créée par Wanderlust aux États-Unis. Il aime l'idée d'une reconnaissance internationale. «Non seulement la formation sera-t-elle reconnue par Yoga Alliance, mais aussi dans le monde entier, puisqu'elle sera enseignée dans 25 autres endroits, soit dans tous les festivals Wanderlust de la planète», note-t-il.

Cependant, certains déplorent les standards trop peu élevés adoptés par la YA pour certifier les professeurs. Ces derniers se tournent alors vers la Fondation internationale de yoga (IYF) et ses branches nationales, comme la Fédération francophone de yoga (FFY).

«La FFY est assez stricte et exige un vrai contact avec l'enseignant, alors que Yoga Alliance travaille plutôt sur l'ajout d'heures, avec le travail à la maison », constate M. Blondon, qui était avec la YA avant de passer avec la FFY.

Finalement, tout est question d'intention, note Mme Tremblay. «L'intention de Yoga Alliance à l'origine est de reconnaître professionnellement la voie, ce qui est noble. Mais cela ne devrait pas être l'intention première.»

Nul doute, la pratique du yoga et son enseignement ont changé en profondeur depuis que l'Amérique a «avalé» la discipline. Certains voient le phénomène d'un bon oeil, puisqu'il rend le yoga accessible à la masse, alors que d'autres s'inquiètent que la pratique traditionnelle, faite de dévotion, d'humilité et s'inscrivant dans la durée, y perde son essence même... Soit la formation des futurs professeurs, qui formeront à leur tour d'autres élèves.

Ces deux visions doivent-elles absolument s'opposer? L'avenir le dira. N'oublions pas que yoga, dans son essence, signifie union.

Le rêve américain?

Allumés par leur découverte du yoga et par l'effervescence du milieu, plusieurs jeunes praticiens rêvent de devenir professeurs et même d'ouvrir leur propre studio. Un rêve réalisable, certes, mais qui demande beaucoup d'abnégation et de temps... et qui est loin de faire empocher le magot.Le yoga est sans aucun doute devenu une entreprise, du moins en Occident. Une tendance de fond, portée notamment par Yoga Alliance. L'organisation affiche clairement son penchant pour le côté «business» du yoga, en proposant aux nouveaux entrepreneurs des conseils et trucs pour mieux faire grandir leur entreprise. En 2013, la YA a même organisé sa première «Business of Yoga conference». Une contradiction profonde pour les puristes, mais qui semble faire sens dans la société capitaliste occidentale.

Pas étonnant que plusieurs voient dans le yoga une occasion d'affaires, un phénomène qui a été observé dans le film Yoga Inc.. Selon une enquête du Yoga Journal, de 2008 à 2012, les praticiens ont doublé leurs dépenses en classes de yoga et produits dérivés aux États-Unis.

Mais entre les superstars du yoga américaines comme Shiva Rey et le jeune professeur qui commence à donner des cours, il y a un énorme pas.

«Il y a des gens qui arrivent au yoga dans une vision de business en y voyant une opportunité entrepreneuriale. Mais il n'y a pas de "passe de cash" à faire!», assure Marie-Daphnée Roy de Yoga Bhavana.

Tous les professeurs de yoga à qui La Presse a parlé sont d'accord sur ce point: ce n'est pas pour devenir riche qu'on consacre sa vie au yoga. «Il y a un grand rêve romantique autour du yoga et plusieurs personnes pensent que c'est très payant. Mais c'est loin d'être le cas!», note Lyne St-Roch.

«Pour arriver à gagner 25 000 $ par année avec le yoga, il faut donner entre 11 et 13 cours par semaine, ce qui est énorme. Il faut être en forme, intègre et dédié, car la plupart des cours vont se donner aux quatre coins de la ville. Certains vont ouvrir leur centre: mais cela fait qu'ils doivent également devenir gestionnaires, ce qui demande d'autres compétences!», fait remarquer Sylvie Tremblay de Yoga Sangha.

Un choix de vie

Il faut dire que, pour plusieurs aspirants professeurs, ce projet va au-delà de l'aspect financier et demeure une démarche spirituelle.

«Le yoga allie enfin le corps et l'esprit, ce qui est un des chaînons manquants des religions du passé, selon moi. En proposant un système où tout est honoré, le yoga parle à plusieurs personnes. C'est la raison pour laquelle plusieurs vont vouloir aller plus loin, soit en allant à la source, en Inde, ou en faisant une formation plus accessible, près de chez eux», remarque Sylvie Tremblay, tout en précisant que ce ne sont pas tous ceux qui suivent une formation qui se destinent à une carrière en yoga.

Geneviève Colmer, qui cumule cinq ans de pratique régulière, suit actuellement sa formation professorale chez Luna Yoga, dont elle apprécie l'approche très humaine. Mais c'est réellement l'automne dernier que le yoga est devenu partie prenante de son quotidien et qu'elle a commencé à penser suivre une formation.

«Initialement, j'ai décidé de suivre la formation parce que je voulais absorber tout ce que je pouvais sur cette merveilleuse pratique et ensuite partager ces connaissances, raconte Geneviève Colmer. Cette raison est encore valide, mais ça va plus loin encore. En faisant du yoga quotidiennement, en plus de la méditation, j'ai commencé à vivre des changements assez importants qui sont difficiles à expliquer, mais super positifs. J'ai commencé à réaliser que le domaine dans lequel j'étais n'était plus tout à fait pour moi et que je voulais que ma carrière soit une contribution. Je voulais faire une différence dans la vie des gens.»En février, Geneviève Colmer a donc quitté son emploi de directrice des opérations dans un magazine de mode et a démarré un blogue personnel, The Red Fairy Project, le point de départ de son projet de mettre sur pied une entreprise centrée sur le mieux-être, où elle aimerait proposer des cours privés de yoga et du coaching.

«J'ai plutôt choisi un mode de vie, fait écho Catherine Lapointe-Dubois, une ancienne enseignante pratiquant depuis six ans, ayant récemment fait sa formation de 200 heures et fêté le premier anniversaire de fondation de son studio Namaste Yoga à Québec. Je ne voulais pas envoyer mes enfants tous les jours à la garderie et c'est une façon pour moi de rester à la maison. Ce n'est pas l'opulence, mais c'est le calme au quotidien. C'est ce que j'ai choisi en achetant une entreprise. C'est sûr qu'ouvrir un studio est une opportunité d'affaires... Mais tu ne fais pas des affaires avec le yoga!», conclut-elle.