Le café filtre ou infusé aura toujours la cote. Selon les chiffres fournis par la Canadian Coffee Association, c'est ce que consomment 57 % des Québécois. Toutefois, un bon barista doit absolument maîtriser l'art de préparer un latté puisque c'est ce que près de la moitié des clients lui commanderont au comptoir des établissements indépendants.

« Quand on a ouvert, en 1985, il n'y a personne qui buvait de l'espresso. On allait dans les bars italiens [pour en consommer] », se rappelle Line Guérin, directrice des opérations pour Brûlerie St-Denis, qui possède maintenant quatre établissements et deux comptoirs.

Au cours des décennies, les habitudes de consommation de café des Québécois ont changé. De la boisson peu corsée à laquelle on ajoutait la plupart du temps de la crème, on sirote maintenant en grand nombre le latté. Au point où la plupart des baristas et propriétaires d'établissements indépendants interrogés par La Presse affirment que le café au lait représente près de la moitié des commandes de leurs clients.

Pourquoi ? La percée des machines à café, plus faciles à utiliser et moins onéreuses, explique en partie cette montée de popularité pour l'espresso. On en prépare à la maison et on veut aussi en boire au café du coin. Et il y a bien sûr l'arrivée d'un acteur important.

« Starbucks a créé un nouveau point de référence. Ce qui a forcé tout le monde à suivre : Tim Hortons, McDo. On est en plein milieu d'une guerre. C'est très agressif », explique Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l'Université Dalhousie à Halifax.

Le roi du burger a sauté dans l'arène avec le lancement en 2012 de la marque McCafé, s'équipant du coup de machines à espresso, histoire de servir des lattés tout en continuant d'offrir du café filtre. « Il y avait une demande pour un grain de café de qualité », explique Carl Pichette, directeur senior du marketing de McDonald's pour l'est du Canada.

Les petits établissements indépendants se sont également multipliés dans le paysage, partageant même les artères commerciales avec les plus grands. Dans certains quartiers de la métropole, ils sont même plusieurs à tenter d'attirer la clientèle. « C'est vrai qu'il y a beaucoup de cafés dans Rosemont-La Petite-Patrie, admet ainsi Jean-François Lalonde, directeur général de PME MTL, Centre-Est, un organisme qui offre des services d'accompagnement de démarrage d'entreprise. Mais il y a quand même un achalandage dans ces cafés. La clientèle recherche les cafés indépendants, ajoute-t-il. Ça répond à un besoin et ça participe à la revitalisation des artères commerciales. »

Un mode de vie

Réveille-matin par excellence pour plusieurs, le café n'est plus considéré comme une boisson quelconque, estime Valérie Verhoef, gestionnaire et barista à la Brûlerie Faro, à Sherbrooke. « Il y a une culture du café. Les gens ont compris que le café n'est pas juste une boisson que l'on boit rapidement pour se réveiller. C'est devenu une gâterie. Ils veulent quelque chose de bon qui ne soit pas juste efficace. »

« Les gens - en particulier les jeunes - cherchent l'expérience collective d'acheter un café. Il y a une notion de plaisir associé au café de spécialité », ajoute Caroline Rosson, vice-présidente marketing pour Keurig Canada et responsable de la marque Van Houtte.

La réhabilitation du café filtre

Par ailleurs, en dehors de l'espresso, le filtre est lui-même préparé avec beaucoup plus de soin qu'avant, notamment avec l'arrivée des cafés de troisième vague, « un café ultra-frais, ultra-brun », décrit Gabriel Lefebvre, directeur du café Frida à Trois-Rivières. « C'est quasiment comme des cépages de vin, c'est un produit de luxe », ajoute-t-il.

Ainsi, plusieurs établissements indépendants se font un devoir de parler avec leurs clients de la provenance du grain, du torréfacteur et d'insister sur le fait qu'en dehors de l'espresso, il y a moyen de boire un café filtre savoureux. « Le matin, quand on se réveille, ce n'est pas le moment d'explorer, concède Constantin Loan, copropriétaire du Nektar Caféologue à Québec. Plus tard dans la journée, on peut essayer de goûter de nouvelles choses. »

« Pendant un temps [chez les amateurs de café], le café filtre avait extrêmement mauvaise réputation, explique David Lalonde, cofondateur de l'Académie de café de Montréal. On mettait de la crème pour rehausser le goût et du sucre pour contrôler l'amertume. Le café filtre de la troisième vague est plus délicat. »

« Moi, je bois plus de café filtre en ce moment [que d'espresso] », ajoute Gabriel Lefebvre, du Café Frida. Il rappelle que dans la tasse, ce qui fait la différence, c'est la qualité du grain et la méthode d'infusion. Inutile de chercher plus loin.

Nous remercions Espace café, à Montréal, pour la prise de photos.