Tout le monde a déjà goûté une bouteille de la Rioja. Ces vins boisés et riches sont parmi les plus connus et les plus réputés d'Espagne. Or, un groupe de viticulteurs, au sein duquel on trouve un Québécois, veut changer le visage de ce territoire ancré dans de fortes traditions. Une révolution qui ne fait pas l'unanimité.

Patricio Brongo a touché à toutes les sphères du milieu du vin au Québec: vendeur à la SAQ, importateur et même producteur de cidre. Aujourd'hui installé en Espagne, il est au coeur d'une véritable révolution dans la très conservatrice région de la Rioja.

Située dans le nord de l'Espagne, la Rioja se trouve à quatre heures de route de Barcelone. Au pied de la cordillère Cantabrique qui sépare la région du Pays basque, des châteaux vieux de 1000 ans trônent au sommet de villages entourés de vignes.

Dans ce paysage agricole bucolique, quelques grandes maisons de vin ont érigé des bâtiments modernes et audacieux qui offrent un contraste éclatant avec les constructions patrimoniales.

Lors de notre passage, l'automne dernier, la petite commune de San Vicente de la Sonsierra, célèbre pour ses processions religieuses, vibrait au son des tracteurs remplis de raisins. Dans les champs, les vignes croulaient sous le poids des grappes bleutées de tempranillo.

À l'entrée du village, au domaine Moraza, les vendanges étaient terminées depuis plusieurs jours. Le jus bouillonnait dans les cuves de béton.

«On vendange plus tôt, car on veut faire des vins plus frais avec moins d'alcool, explique Patricio Brongo. On est à contresens des vins traditionnels. On veut sortir de la surmaturation et du bois comme ça se fait ici.»

Vins de terroir

Patricio Brongo a effectué cet automne sa quatrième vendange chez les Moraza. Il est arrivé en 2013 après avoir rencontré sa conjointe, Janire Moraza, lors d'un salon de vins en Allemagne.

Lorsque le Québécois est arrivé dans la région, les Moraza faisaient comme tout le monde: ils regroupaient les raisins de toutes leurs parcelles, puis ils les vinifiaient. Une partie du vin était vendue en vrac et une autre était livrée à de grands producteurs.

Janire Moraza rêvait de faire ses propres vins et de mettre en valeur le terroir du vignoble familial. Mais sa famille, des vignerons depuis six générations, hésitait.

«Janire voulait vinifier chaque parcelle et chaque cépage séparément afin de comprendre le terroir», raconte Patricio Brongo.

L'arrivée de Patricio dans la famille a accéléré le projet. Le Québécois a avancé un argument de taille: en produisant des vins qui mettent en valeur le terroir du domaine, il était convaincu que les Moraza pourraient exporter des vins de l'autre côté de l'Atlantique, au Québec.

Il a eu raison.

PHOTO KARYNE DUPLESSIS PICHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Lors de notre passage, l'automne dernier, la petite commune de San Vicente de la Sonsierra, célèbre pour ses processions religieuses, vibrait au son des tracteurs remplis de raisins. Dans les champs, les vignes croulaient sous le poids des grappes bleutées de tempranillo.

Succès

Le domaine Moraza vend aujourd'hui 95 % de sa production à l'étranger. Un grand changement pour le petit vignoble. Ses vins se retrouvent dans une douzaine de pays, dont le Royaume-Uni, la France et les États-Unis. Son plus important marché est le Québec, où la famille vend 50 % de sa production.

Comme le souhaitait Janire, chaque type de raisin est vinifié séparément. Elle produit des rouges fruités sans élevage en barriques ainsi qu'un blanc à base de viura. Les vins sont maintenant certifiés bios, puisque la famille avait toujours travaillé sans produits chimiques.

«Mon père a toujours fait de la biodynamie sans le savoir», raconte Janire.

Les Moraza ne sont pas les seuls à changer leurs façons de faire. Une nouvelle génération de vignerons de la Rioja veut élaborer ses propres vins plutôt que de vendre du jus en vrac. Peu à peu, ils sont en train de révolutionner l'industrie locale, dans une région très attachée à des traditions, qui a jusqu'ici misé sur le vieillissement plutôt que sur les terroirs. Le visage de la Rioja est-il sur le point de changer?

Photo Thinkstock

San Vicente de la Sonsierra.