«On va assister à une superbe rencontre pendant cette Coupe du monde. Les équipes sont en train de se réchauffer», lance un animateur à son collègue dans une estrade. Les commentateurs attendent le match de deux équipes locales françaises : Titan et Team LDLC. Devant eux, des milliers de spectateurs ont les yeux rivés sur un écran géant. Dans l'arène, aucun sportif en sueur, mais des concurrents concentrés devant une console.

L'épreuve : Counter-Strike Go.

L'événement : la Coupe du monde des jeux vidéo (ESWC), qui bat son plein ce week-end dans la Ville Lumière dans le cadre de la Paris Games Week. Pendant cinq jours, l'événement réunira plus de 250 000 «gameurs et gameuses» au Parc des expositions. De grands pavillons sont tapissés de consoles, d'écrans géants et d'immenses affiches des jeux : Call of Duty, League of Legends, Just Dance et Assassin's Creed. Yeux et oreilles sensibles à l'hyperstimulation, s'abstenir.

L'ambiance frôle la démesure. Des gens se baladent en Segway, des massothérapeutes prennent soin des joueurs. Les décibels frisent la limite du supportable. On tente de se faire une place parmi la marée humaine. Dans les toilettes, on aperçoit une publicité de Geekmemore, «le premier site de rencontre 100 % geek». Un monde à part pour les néophytes de jeux vidéo.

Le père de l'ESWC, Matthieu Dallon, a de quoi être fier. Grâce à lui, l'eSport a ses Jeux olympiques et il est en train de devenir une industrie.

«Il a fallu éduquer le public, les marques et les commanditaires. C'est un travail qui est encore jeune.»

Matthieu Dallon a fondé sa boîte de sport électronique - devenu Oxent - il y a 15 ans. «J'organisais des LAN partys. Un peu comme le Woodstock des gameurs», raconte l'homme de 40 ans.

Avec des listes d'attente de 10 000 joueurs, le joueur entrepreneur a flairé la bonne affaire, et les médias ont baptisé son événement «la Coupe du monde des jeux vidéo».

Cette année, l'ESWC en est à sa 11e édition et attend 100 000 spectateurs. Pour la quatrième année, les compétitions ont lieu dans le cadre de la Paris Games Week.

«Comme la Coupe du monde de foot»

Matthieu Dallon travaille étroitement avec les éditeurs de jeux vidéo, dont Ubisoft, Blizzard, Activision et Electronic Arts. Il veut appliquer la «mécanique traditionnelle» du sport télédiffusé aux jeux vidéo. «Il y a une propriété intellectuelle sur les jeux vidéo, explique-t-il. Toute l'économie du sport électronique passera par la cession de droits. Un jour, le joueur devra avoir des droits sur l'image comme le sportif a des droits sur son corps.»

L'ESWC vit en grande partie à cause d'un écosystème de commanditaires et de donnant-donnant entre les différents acteurs, explique-t-il. Le fabricant d'écrans, les éditeurs de jeux et l'événement ont tous besoin de l'un et l'autre.

«Mon événement qui dure six jours coûte deux fois moins cher qu'un défilé Chanel, illustre Matthieu Dallon. C'est un budget de production de 1 million d'euros [1,5 million de dollars]. C'est de l'artisanat, mais il y a une histoire qui s'écrit», fait valoir le père de deux enfants, avec qui il partage sa passion pour le «gaming», comme on dit en France.

L'entrepreneur aimerait organiser un événement en lien avec l'ESWC à Montréal. L'an dernier, il a collaboré avec le Mondial des jeux, tenu dans le cadre du Festival Juste pour rire. Guillaume Degré-Timmons, producteur délégué du Mondial, et Arman Afkhami, producteur exécutif, se trouvent par ailleurs présentement à l'EWSC.

Le Québec à Paris

Le Québec a sa place à l'ESWC, notamment avec le régisseur de plateau Michaël Daudignon. Nous avons croisé la star Stéphanie Harvey, baptisée «Miss Harvey», dont l'équipe UBINITED a remporté quatre fois le tournoi féminin de Counter-Strike. La culture du sport électronique «a débuté en Asie, passe ici et s'en vient vers l'Amérique», dit-elle.

Catherine Leroux, aussi membre de UBINITED, participe pour la première fois à l'ESWC. «Je ne m'attendais pas à ce que soit aussi grand avec autant de monde. J'ai hâte de jouer !»

Dans le pavillon de l'ESWC, on attend des «oh» et des «ah» comme dans un match de hockey ou de tennis.

Vu le but du jeu créé par Ubisoft pour la Wii, la finale de Just Dance attire le regard. En direct, des filles se déhanchent par imitation au rythme de la chanson Hot N Cold de Katy Perry.

Comme le blogueur et joueur Adley Salabi, beaucoup de spectateurs assistent aux compétitions pour apprendre. «Quand on les regarde, on analyse ce qu'ils font et cela nous permet de mieux comprendre le jeu.»

Pierre et Lara Sirecki ont fait la route depuis Lille avec leurs parents pour encourager l'équipe Vitality dans le tournoi du jeu Call of Duty : Black Ops. «Je voulais surtout voir le joueur Gotaga, celui avec la casquette blanche. Il est très fort», indique l'adolescente de 15 ans. «Il a plus de 750 000 abonnés sur sa chaîne YouTube», ajoute son frère.

Leur père Olivier, aussi content qu'eux d'être là, considère les jeux vidéo comme une activité familiale. «C'est la première année qu'on vient», dit-il. «C'est très impressionnant», ajoute sa femme Pascale.