Il y a un an, Wayne Gretzky allumait la vasque des Jeux olympiques de Vancouver après une mémorable randonnée sous la pluie en camionnette. Mort tragique d'un athlète, météo capricieuse, scandale linguistique: l'action n'a pas manqué au début de la quinzaine.

Puis, les athlètes canadiens se sont mis à gagner une flopée de médailles, plongeant Vancouver dans une frénésie rouge et blanche rarement vue ici.

Tout le monde se souvient du triomphe d'Alexandre Bilodeau, du drame de Joannie Rochette, du but de Sidney Crosby, des événements amplement soulignés en ce premier anniversaire. Et si on braquait l'objectif sur d'autres acteurs et témoins des JO?

Britt Janyk, membre de l'équipe de ski alpin, elle a grandi sur les pentes de Whistler

«Les Jeux olympiques ont été une expérience vraiment spéciale. Pour moi, c'était à la maison, sur ma montagne. Un moment unique qui va me rester toute ma vie. Mon souvenir le plus fort est l'instant précis où j'ai traversé le fil d'arrivée après la descente et le super-G. Il y avait ce stade, toute cette foule, le bruit. On ne vit jamais ça en Coupe du monde. Je ne crois pas que les Jeux m'aient changée comme personne. Mais ils m'ont appris à composer avec la très grande pression. Étant originaires de Whistler, il y avait beaucoup d'attention sur mon frère Mike et moi. Même si je ne suis pas partie avec une médaille, j'estime avoir très bien fait en descente avec une sixième place. J'ai su garder mon calme et faire ce que j'avais à faire. En même temps, j'ai l'impression d'avoir pu apprécier tout ce qui se passait. Durant les Jeux, la communauté de Whistler s'est regroupée et a travaillé ensemble. J'étais très fière d'être de la place. Les gens ont organisé un grand show, qui a été vu à travers la planète. Il faisait bon être à Whistler. Cette énergie et ce sentiment de fierté collective sont encore bien palpables.»

Jean R. Dupré, chef de la direction du Comité olympique canadien

«On sort d'une expérience unique avec les Jeux de Vancouver qui ont eu lieu chez nous. En 2003, c'était quand même ambitieux de se donner l'objectif d'être le premier pays au monde. On ne pensait pas qu'on aurait autant de succès. Bien sûr, Vancouver nous laisse un héritage en termes d'infrastructures. Encore plus important pour nous, ç'a changé la place qu'occupe le sport dans notre société. On est dans une période unique. On en retire une leçon : c'est en travaillant ensemble - À nous le podium (ANP), le Comité paralympique canadien (CPC), le Comité olympique canadien et les organismes nationaux de sport - qu'on a réussi à atteindre les objectifs qu'on s'était fixés. Depuis les Jeux, les sports veulent continuer de travailler ensemble. Le COC s'est donné une nouvelle vision, une nouvelle façon de faire, qui vise à supporter davantage les organismes nationaux de sport. Avec ANP et le CPC, on veut jouer le rôle de leader qui nous revient pour influencer encore plus le développement d'un système sportif durable.»

Louis Bouchard, entraîneur de ski de fond, il participait à ses premiers Jeux olympiques avec Alex Harvey

«Quelques années avant les Jeux, on rêvait de telle ou telle préparation pour les Jeux olympiques de Vancouver. Tout d'un coup, parce que les Jeux étaient chez nous, le gouvernement a dit: on va voir si vos rêves peuvent fonctionner. On a pu mettre à l'essai des choses qu'on n'aurait jamais pu faire avant: camps d'entraînement, projets en altitude, projets de haute technologie en fartage, en construction de skis, etc. Et puis paf[ThinSpace]! on a réalisé des performances au-delà des attentes. En ski de fond, des tops 10, c'est incroyable, c'est comme des médailles dans d'autres sports. Ç'a ouvert les yeux du gouvernement fédéral et même des fédérations. Avant, on aurait envoyé un ou deux farteurs pour une Coupe du monde de début de saison. En se disant: c'est bon, on n'a pas de budget. Maintenant, impensable d'y aller avec moins de cinq farteurs. Ça ne rentrerait plus dans la tête des dirigeants ou des entraîneurs de Ski de fond Canada. On sait ce dont on a besoin, et qu'on n'y arrivera pas si on met ça de côté. Il faut trouver des solutions pour être prêts, se tourner vers le secteur privé. Ça nous ouvre les portes sur tout. On le réalise encore plus un an plus tard.»

Brigitte Gemme, Montréalaise qui a adopté Vancouver comme domicile

Elle guette l'explosion de bourgeons roses et blancs qui annoncera son septième printemps à Vancouver, la ville qui a volé son coeur, même si Montréal et les Montréalais lui manquent souvent.

Les péchés de Vancouver ne sont pas solubles dans l'eau de pluie. Le terminus de la misère, coin Main et Hastings, bourdonne, la petite maison rouge des voisins s'est envolée pour 1,3 million et les politiciens provinciaux sont chaque jour plus ridicules. Toujours rien sur le terrain vacant laissé derrière les logements sociaux de Little Mountain, démolis quelques jours avant la cérémonie d'ouverture. Vous, vous êtes repartis. Les collectionneurs d'épinglettes, les délégués russes en costume rococo, même les copains débarqués avec leurs calepins, leurs micros, leurs guitares: évanouis.

Les péchés de Vancouver sont solubles dans la lumière chaude des matins froids qui nous surprennent parfois l'hiver. J'enfile mes chaudes mitaines rouges - petite gêne, que diraient mes camarades d'antan? - et j'enfourche mon vélo. La silhouette presque noire de la chaîne côtière se détache contre le ciel enflammé, me coupe le souffle et le sens critique. Ville de contrastes et de séduisantes illusions. Comment résister au reflet de l'Oval sur le miroir du fleuve Fraser, à l'image floue du centre-ville dans les pans de verre du village olympique? J'y revois un instant la grande visite venue de partout mais surtout de chez nous, pourtant vous n'êtes plus là. Wish you were here

Mathieu Giroux, patineur de vitesse, champion olympique en poursuite par équipe. Il poursuit ses études en pharmacie tout en s'entraînant dans son sous-sol à Montréal.

«Ce que je retiens des Jeux? La dernière semaine, quand le Canada se dirigeait vers un nombre record de médailles d'or. Juste de se retrouver dans la foule, sur la rue. Le monde embarquait 24 heures sur 24. L'atmosphère était complètement débile. Ç'a été vraiment spécial de faire partie de ça en contribuant avec une médaille d'or lors de l'avant-dernière journée des Jeux. Depuis, rien n'a vraiment changé pour moi. Je suis retourné à l'école. Je mène une vie normale comme n'importe qui. Ma médaille d'or n'a rien changé au niveau des commanditaires. J'ai gagné ma médaille la même journée que Jasey-Jay Anderson et le curling masculin. Ça n'a pas aidé pour l'attention médiatique. Et des athlètes comme Joannie Rochette et Alexandre Bilodeau ont fait des choses encore plus spéciales. Ça fonctionne comme ça et je n'en veux à personne. Ma vie me va totalement! De toute façon, au Canada - et encore plus au Québec - les athlètes sont vraiment choyés. Je n'ai pas vraiment la personnalité pour me mettre à courir après les commanditaires et ce n'était pas une nécessité pour moi. Ce qui a changé est peut-être mon rôle auprès des jeunes. Je visite des écoles et j'essaie de les inspirer. Parfois, quand je reviens une deuxième fois dans une école, des jeunes viennent me dire qu'ils ont commencé à patiner. Je me dis alors : Ah! vous écoutiez donc la première fois! C'est quand même cool d'avoir une telle influence.»

Michel Beaudry, Québécois d'origine, ce ski bum avoué vit à Vancouver et Whistler depuis 1972. Il est journaliste, columnist au Pique, l'hebdo local, philosophe de culture de montagne, conteur, empêcheur de tourner en rond.

«Ce furent de super beaux Jeux, vraiment positifs, émotionnellement, logistiquement. Mais où sont les retombées? On a vendu au peuple l'idée que les Jeux attireraient des milliers de touristes. Je l'ai toujours dit[ThinSpace]: les Jeux, c'est un spectacle à la télé. Ceux qui regardent ne sont pas ceux qui vont venir skier. Autre problème, ce que les gens ont vu, c'est Cypress, où il pleuvait et où il n'y avait pas de neige. Comme Whistler est tout proche, les téléspectateurs ne se doutent pas que la température y est différente. Je retiens aussi qu'on a dépensé des milliards pour se payer un party de deux semaines, sans en retirer les retombées conséquentes. On a eu le nez collé sur les Jeux sans vraiment penser à l'avenir. Comme un gars qui finit le collège en se demandant ce qu'il va faire maintenant. Les Jeux ont rendu Whistler encore plus conservatrice, encore plus près de l'establishment, à l'opposé de son côté plus edgy, un peu fou. En fait, Whistler est beaucoup plus X-Games que Jeux olympiques. À mon avis, Whistler a atteint le point de non-retour. Soit la culture commerciale, avec la pression de remplir les chambres d'hôtels à tout prix, va l'emporter. Soit la culture de montagne, appuyée sur un passé particulier, une histoire singulière, la glisse, le ski, va s'imposer. Les Jeux olympiques, c'est la fin d'un chapitre. On ne sait pas où le prochain va nous mener.»

Sébastien Théberge, porte-parole du comité organisateur durant les Jeux olympiques. Il est aujourd'hui consultant chez Octane Stratégies à Montréal.

«Peu importe le projet, les attentes sont toujours très élevées. C'est encore plus vrai pour les Jeux olympiques. On pense souvent que les Jeux olympiques relèvent d'une ville, d'un gouvernement. Ce n'est pas le cas. C'est un projet privé, avec des partenaires gouvernementaux. Les exigences de chacun des partenaires sont très grandes. Quand la récession a frappé en 2008, ça a vraiment causé des vagues dans les plans et les rêves du projet initial de Vancouver. L'équilibre entre les besoins de tout le monde n'était pas facile à maintenir. Ça coûte cher, il ne faut pas l'oublier. L'attribution des Jeux olympiques ou d'un grand événement sportif sera de plus en plus une affaire de gros sous. On le voit avec la Coupe du monde de soccer au Qatar et en Russie, les JO en Russie et au Brésil. L'avantage des pays occidentaux au niveau de la stabilité économique et des traditions sportives n'est plus aussi important qu'il y a 20 ans. Si Québec veut se lancer, elle ne pourra le faire sans l'aide du reste du pays. La concurrence internationale sera très forte. Il y a aussi la proximité avec les Jeux de Vancouver. Et la tenue des Jeux panaméricains, à Toronto, en 2015. Les Panams représentent une très grosse affaire, avec plus de pays, d'athlètes et d'effectifs que pour des Jeux d'hiver. Dans ce contexte, le projet de Québec est très ambitieux. Ce qui ne m'empêche pas d'y croire.»

Thomas Lemieux, originaire de Québec, il est professeur d'économie à l'Université de la Colombie-Britannique depuis 1999.

«Vancouver s'est découvert un côté exubérant qu'elle ne se connaissait pas. Avant, on disait que Vancouver, c'était beau mais plate. Les Vancouvérois ont changé l'image qu'ils ont de leur ville à cause des Jeux. L'ampleur des rassemblements m'a surpris. Bien sûr, les médailles canadiennes ont aidé. Et il faut réaliser qu'on avait donné deux semaines de relâche aux étudiants universitaires et qu'on avait organisé des spectacles gratuits au centre-ville. Mais un an plus tard, on parle de fermer une partie du centre-ville à la circulation le dimanche pour que les résidants du centre-ville sortent davantage de chez eux, pour conserver cet esprit de fête. Les Jeux olympiques ont été un bel événement, mais sur le plan économique, ce serait dommage de payer durant des décennies pour le village olympique (dont la Ville de Vancouver pourrait être responsable des pertes en tant que prêteur).»

Margaret MacDiarmid, médecin de famille de profession, elle est députée libérale à Vancouver et ministre provinciale de l'Éducation, du Tourisme et de l'Investissement.

«J'ai adoré l'explosion de patriotisme, j'ai adoré voir les gens aimer le Canada. J'ai toujours été très patriotique, mais je me sentais parfois un peu seule dans mon clan. Pas durant les Jeux! Ma plus belle découverte? Notre système de transport en commun. Je n'avais pas réalisé à quel point nos transports en commun étaient efficaces.»

Propos recueillis par Simon Drouin et Vincent Brousseau-Pouliot.