Un boxeur est aussi bon que son dernier combat. Cruel adage. Lucian Bute serait donc jugé à l'aune de sa dernière sortie, une cuisante défaite subie aux mains de Carl Froch, sur un ring anglais, le printemps dernier.

Bute, qui était considéré comme un athlète d'exception, idolâtré avec les meilleurs boxeurs livre pour livre de la planète, serait donc soudainement devenu un looser. Sa fiche suggère pourtant une carrière de vainqueur: 30 victoires, dont 24 par K.-O. avec une seule défaite.

«Les Québécois sont comme ça, ils ont du mal avec la défaite», remarque le jeune boxeur invaincu Mikaël Zewski, 23 ans et lucide.

>>>Clavardage : Gabriel Béland commente en direct le combat Bute-Grachev dès 21 h 30

Une mise au point s'impose. Peut-être Bute a-t-il été dominé et vaincu de la pire façon contre Froch, mais le boxeur d'origine roumaine a aussi dominé et vaincu son lot d'adversaires: Miranda, Berrio, Andrade, Bika, Johnson, défendant au passage sa ceinture de champion du monde neuf fois.

Le champion déchu remonte sur le ring ce soir contre Denis Grachev pour écrire un important chapitre de son histoire. À cette occasion, La Presse s'est entretenue avec Lucian Bute pour revenir sur une carrière désormais occultée par le fameux dernier combat. En six dates, Bute revient sur son parcours du combattant.

Voici l'histoire de Lucian Bute, dans ses hauts, ses bas et dans ses mots.

Le premier combat professionnel: 22 novembre 2003

Victoire par K.-O. au 3e round contre Robert Muhammad

«Ça faisait juste un mois que j'étais à Montréal! Je m'en souviens très bien. Muhammad comptait beaucoup de défaites, 28 si je me rappelle bien [c'est bien ça, NDLR], et quelques victoires. Mais c'était un gars qui avait beaucoup d'expérience et c'était mon premier combat professionnel à vie. Il y avait beaucoup, beaucoup de stress. Je ne savais pas ce qu'était vraiment la boxe professionnelle. Mais je pense que j'ai bien boxé. J'ai gagné une victoire au 3e round. C'était toute une expérience.»

Le test : 15 juin 2007

Victoire par décision unanime contre Sakio Bika

«Ce combat était plus gros que certaines des défenses de championnat que j'ai fait plus tard. C'était un adversaire très, très dur physiquement, avec beaucoup d'expérience. À ce moment-là, il n'avait subi que deux défaites et l'une d'elles, je m'en souviens très bien, était contre Joe Calzaghe. Et contre Calzaghe, il s'était rendu à la limite. Mais j'avais une énorme volonté de gagner ce combat, un combat éliminatoire, pour pouvoir aller me battre en championnat du monde. Je suis monté sur le ring et dans ma tête, c'était clair que ce combat allait m'amener à un championnat. Mais c'était dur. Le combat a mal commencé et il a gagné les deux premiers rounds. Mais après, je suis revenu et j'ai dominé jusqu'à la fin.»

Le couronnement : 19 octobre 2007

Victoire par K.-O. technique au 11e round contre Alejandro Berrio

«C'était mon rêve. Depuis mon arrivée ici quatre ans plus tôt, je me répétais tous les jours: mon rêve est de devenir champion du monde. J'ai travaillé fort et exactement quatre ans plus tard, j'ai eu la chance de boxer dans un championnat. Mais c'était beaucoup de pression. J'avais devant moi un champion du monde, un cogneur. Je suis monté sur le ring plein de confiance. Le combat n'a pas bien commencé, mais au 6e, je l'ai pincé. Et au 11e, je l'ai pincé avec un crochet de gauche et l'arbitre a arrêté le combat. C'était un sentiment inexplicable. À ce moment-là, j'ai réalisé mon rêve: je suis un gars parti de Roumanie pour réaliser son rêve, et tout d'un coup, j'étais champion du monde. Quel sentiment extraordinaire! Après, on est allés au restaurant avec une vingtaine d'amis de Roumanie. Je me souviens être rentré chez moi vers 4 h du matin. Dans ce temps-là, j'habitais un petit appartement près du centre Claude-Robillard. J'étais chez moi, tout seul, et j'étais comme dans un rêve, comme si je flottais. Je me regardais dans le miroir et j'avais l'oeil droit enflé. Il était 4 h du matin et il y avait la ceinture de champion du monde à côté, sur mon canapé. Je me suis dit: "Lucian, tu es champion du monde! " Jamais je ne vais oublier ce moment-là.»

La revanche: 28 novembre 2009

Victoire par K.-O. au 4e round contre Librado Andrade

«Lors du premier combat contre Andrade, on savait qu'il était un dur. J'avais contrôlé presque tous les rounds, mais j'ai manqué un peu d'énergie à la fin. Quelque chose a lâché, psychologiquement. Au 12e round, j'étais épuisé. Je le voyais me donner des coups et je ne pouvais pas réagir. Je suis tombé à quatre secondes de la fin, je me suis relevé, j'ai gagné. Mais c'est sûr qu'il est resté un doute dans la tête des gens. Tout de suite après ce combat-là, je savais que je voulais un autre combat pour montrer à tout le monde que c'était un accident. Dans la revanche, ça a commencé au 3e round quand je l'ai pincé à la tête. Il est tombé sur moi. J'ai lancé une rafale, mais il a résisté. Au 4e, il a essayé de me donner deux droites de suite. J'ai esquivé la première droite, et quand il a lancé la deuxième dans le vide, j'ai bien placé le crochet de gauche au corps. J'ai senti tout de suite qu'il ne se relèverait pas. C'est la victoire dont je suis le plus fier.»

La Roumanie: 9 juillet 2011

Victoire par K.-O. au 4e round contre Jean-Paul Mendy

«C'était un rêve de défendre ma ceinture en Roumanie devant mes partisans. J'ai eu cette chance-là et ç'a été toute une expérience. Il y avait 10 000 personnes au stade et l'ambiance était folle. Jean-Paul Mendy était l'aspirant obligatoire et j'ai réussi une belle victoire, un beau knock-out. Je me rappelle après, on est sortis sur le principal boulevard de Bucarest, la place de l'Université, et une foule m'attendait. Il y avait des milliers de personnes qui criaient mon nom. C'était incroyable de voir ça. Je me souviens, étant jeune, d'être sorti dans la rue avec tous les Roumains pour fêter des victoires de l'équipe nationale de soccer. Là, c'était mon tour. C'est moi qui ai fait sortir les gens dans la rue. C'était une fierté, un sentiment d'avoir accompli quelque chose pour les Roumains.»

La défaite: 26 mai 2012

Défaite par K.-O. technique au 5e round

«On a décidé d'aller en Angleterre, même si j'étais champion. Douze jours avant, j'ai eu une infection à un pied et j'ai dû prendre des antibiotiques et arrêter l'entraînement pendant trois ou quatre jours. Ce ne sont pas des excuses, mais psychologiquement, ça m'a affecté. J'ai perdu le combat en Angleterre pas parce que Froch était très supérieur à moi. J'ai perdu parce que j'ai claqué psychologiquement. Je n'étais pas là. J'étais favori, tout le monde pensait que ce serait facile pour Lucian Bute. Ça m'a donné trop de confiance. J'ai négligé Froch et l'ai sous-estimé peut-être un peu. J'ai fait une grave erreur. Après la défaite, je me suis assis et me suis demandé: "Lucian, veux-tu continuer la boxe? " J'ai dit: "O.K., c'est le passé, on va regarder en avant, je suis fier de ce que j'ai fait, je n'ai pas honte." Sur le coup, par contre, j'ai eu honte. Je voyais que les gens me regardaient avec pitié, comme pour dire: "Pauvre-toi, Lucian! " Ça me faisait mal. Mais là, je suis de retour psychologiquement. Je suis sûr que Lucian Bute n'est pas fini et je vais le prouver samedi.»

Bute et Grachev font le poids

Lucian Bute et Denis Grachev ont tous deux fait la limite pour leur combat de ce soir au Centre Bell. Les boxeurs devaient respecter le poids intermédiaire de 170 livres: Bute a affiché 169 livres et Grachev 168,9 livres.

Une fois la pesée terminée, Bute n'a pas répondu aux questions comme à son habitude. «Je l'ai fait pendant deux mois, mais là, je veux me concentrer sur mon combat», a-t-il lancé.

Son adversaire s'est contenté de lancer une phrase courte et assassine, en annonçant qu'il entendait passer le K.-O. à Bute dès le premier round.

«Grachev va sortir fort de bonne heure et Lucian le sait, note l'entraîneur du boxeur montréalais, Stéphan Larouche. Mais je pense qu'il va bien réagir. On va voir que Lucian est revenu. On va voir Lucian qui lance son jab, qui cherche des angles, qui lance de partout et là, on va savoir qu'il est de retour.»

Bute (30-1, 24 K.-O.) cherche à relancer sa carrière contre Denis Grachev (12-0-1, 8 K.-O.), après avoir subi une défaite en mai dernier. La Presse a révélé hier que son promoteur, InterBox, avait d'ailleurs un plan bien établi en cas de victoire ce soir, avec Carl Froch, Andre Ward et Kelly Pavlik dans le portrait.

Lucian Bute                                                             Denis Grachev

Nationalité

Roumaine, canadienne                                             Russe

Lieu de résidence

Montréal, Canada                                                     San Diego, États-Unis

Date de naissance

28 février 1980                                                          3 août 1982

Position

Gaucher                                                                    Droitier

Catégorie

Super-moyens                                                           Mi-lourds

Surnom

Le Tombeur, Mister KO                                             The Pirate

Fiche

30-1, 24 K.-O.                                                           12-0-1, 8 K.-O.