La dernière fois que j'avais eu devant moi Antoine Valois-Fortier en pleurs, c'était à Londres. À l'époque, il était un jeunot de 22 ans, loin dans le classement mondial, que personne n'attendait sur le podium.

Il n'avait pas attendu qu'on l'y invite. Après sa victoire pour le bronze, il s'était écroulé sur le tatami, pleurant de joie. Il avait sauté de bonheur dans les bras de son père. Il était étranglé par les émotions, les belles, celles d'un jeune athlète de Québec qui venait de réussir l'impossible. Antoine Valois-Fortier était le roi du monde.

Hier, à Rio, on a revu Antoine en pleurs. C'était le même homme : le petit gars de Beauport avec cette envie de gagner plus forte que tout, cette passion dévorante, les émotions à fleur de peau.

Mais ce n'était plus le même scénario, plus le même résultat, plus les mêmes larmes. Il venait de finir septième dans la catégorie des moins de 81 kg. Il était anéanti.

C'était un homme en peine. Un athlète dans un sport où ce qui compte le plus, c'est une journée tous les quatre ans. Une journée, une toute petite journée.

« J'ai tout mis de côté pour ça, ma famille, ma copine, mes études. À chaque jour pendant quatre ans, j'ai eu Rio en tête. C'est bien décevant parce que c'était finalement la journée et ce n'est pas arrivé pour moi. »

« Je n'ai aucun regret. Je suis vraiment fier. C'est juste que sur le moment, je suis déçu, a lancé le judoka, la voix chancelante. La médaille d'or, j'y ai cru, j'y ai beaucoup rêvé, mais ce n'est pas arrivé. J'ai de la misère à me dire que j'ai fait tous les sacrifices que j'ai faits dans les quatre dernières années pour finir septième. Je mentirais si je disais que je vois ça comme ça. »

Pour le sport, il a déménagé à Montréal. Six jours par semaine, il s'est entraîné, ce qui signifie au judo répéter cent fois les mêmes gestes, les mêmes mouvements, les mêmes projections. Il a souvent été blessé au cours de sa carrière, dont une fois sérieusement au dos.

Il fait du judo depuis l'âge de 5 ans. Son père raconte qu'une fois, ado, il s'était endormi sur le sofa, exténué, et avait manqué son entraînement. À son réveil, il était furieux ! Il avait reproché à ses parents de ne pas l'avoir réveillé.

Le judo, ç'a toujours été du sérieux, la passion de sa vie.

À 30 ans, Tokyo

Pendant quatre ans après Londres, chaque jour, Antoine Valois-Fortier s'est préparé sans relâche pour cette journée. Hier, il n'avait jamais été aussi en forme de sa vie.

« Les derniers mois en camp d'entraînement, je me sentais tellement bien, tellement fort. J'avais conscience que je pouvais battre tout le monde aux Jeux », dit-il.

Il y a quelques jours, il a appris le nom de son premier adversaire, l'ancien champion du monde Loïc Pietry. Pas de chance, le Français et lui s'étaient affrontés cinq fois dans les dernières années. Le Québécois n'avait gagné qu'un de ces combats.

Mais hier matin à Rio, Valois-Fortier a gagné. Il a battu Loïc Pietry. Il a ensuite vaincu un Argentin. Puis contre le Russe Khasan Khalmurzaev, champion d'Europe, il s'est rendu en prolongation, puis a perdu sur une projection. Plus tard en journée, c'est ce même Russe qui a remporté l'or dans la catégorie des moins de 81 kg.

Cette défaite signifiait qu'il ne pourrait se battre ni pour l'or ni pour l'argent.

Valois-Fortier, troisième au dernier Mondial, passait alors au repêchage avec une chance de se battre pour le bronze. Son adversaire ? L'actuel champion du monde, le Japonais Takanori Nagase, qui avait lui aussi perdu en quarts de finale. Le tournoi olympique de judo est coupe-gorge. Il se joue en une seule journée. Les combats se succèdent. Une erreur peut vous priver de médaille.

« Si tu cours le 100 m en 9,6 secondes, tu vas gagner chaque fois. Au judo, ça ne marche pas comme ça. Le Japonais, c'est Usain Bolt, et il a perdu aujourd'hui. C'est un sport où ça se joue à très peu », explique Nicolas Gill, entraîneur de l'équipe canadienne de judo.

Au match de repêchage, Nagase a gagné. Valois-Fortier était éliminé. Le grand gaillard de 6'2" s'est écroulé. Ses Jeux se terminaient sans médaille.

Pour Nicolas Gill, le résultat était bien sûr décevant. « Mais pour moi, le résultat est une chose et la performance, c'en est une autre, a noté l'entraîneur. Pour moi, il a performé comme il se devait de performer. »

Dans le couloir du stade flambant neuf de Rio où on se trouvait, Valois-Fortier a répondu aux questions des journalistes avec générosité. Il regardait au loin en parlant, afin de se concentrer pour ne pas pleurer. « Oui, je suis un gars émotif. J'avais comme objectif de me contrôler, mais... »

À ce moment, à voir sa peine, à penser à ses sacrifices, on se disait qu'on le comprendrait de passer à autre chose. Mais il n'en était pas question. « Mon objectif reste la même affaire. Je recommence un cycle de quatre ans avec Tokyo en tête et je veux monter sur la plus haute marche du podium », a dit celui qui aura alors 30 ans.

Nicolas Gill a déjà réussi à revenir après des Jeux crève-coeurs. Après une médaille de bronze à 20 ans aux Jeux de Barcelone, il était rentré bredouille d'Atlanta. À 28 ans, à Sydney, il avait remporté l'argent.

Valois-Fortier veut faire pareil. Son rêve, c'est de se prouver qu'il est le meilleur au monde. Ce n'est pas facile. Ça fait souvent mal. Parfois, on pleure. Mais c'est ça, avoir le judo dans la peau.