Elle vous parle pendant 30 minutes de fonte, de poids, d'épaulé-jeté et des mille blessures qui ont émaillé sa carrière. Puis au détour d'une phrase, Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, médecin, haltérophile et olympienne, se met à parler de philo.

«Je suis avec attention pas mal tout ce qui entoure le projet de loi sur l'aide médicale à mourir. Je trouve ça super intéressant. L'automne dernier, j'ai commencé à étudier la philosophie. J'aimerais peut-être ça éventuellement faire de la recherche en bioéthique.»

Elle raconte ça dans le décor semi-soviétique du Centre Claude-Robillard. C'est dans cet édifice à l'architecture brutaliste qu'elle s'entraîne quelques fois par semaine. Ce n'est pas du luxe: une petite salle dans le deuxième sous-sol, où traînent des barres et des poids.

Et ça, c'est un centre «régional». Le club d'attache de Beauchemin-Nadeau se trouve dans une école secondaire.

«La majorité des clubs d'haltéro sont dans des écoles secondaires, dans des conditions un peu précaires. Je suis habituée à ça.»

Elle l'admet d'emblée. Elle n'est pas devenue haltérophile pour le glamour. Au Québec, la fonte des neiges excite beaucoup plus les gens que la fonte qu'on lève. On est loin du plongeon ou du ski acrobatique. Qui se souvient de la médaille de bronze de Christine Girard, à Londres?

Non, on ne s'entraîne pas neuf fois par semaine, dans des écoles secondaires, toujours à moitié blessé, pour le glamour. On le fait pourquoi, alors?

Beauchemin-Nadeau a commencé son sport un peu par hasard. À 15 ans, elle faisait de l'athlétisme. Pour améliorer son sprint, un entraîneur lui a suggéré d'essayer de lever des poids. Ça va améliorer ton explosion, lui a-t-il dit.

L'athlétisme a vite pris le bord. Elle est tombée amoureuse de son nouveau sport.

«Je suis une personne introspective et c'est un sport introspectif. L'haltéro se passe beaucoup dans la tête. Quand on arrive pour lever une barre, on est seul. C'est beaucoup une question de confiance en soi.»

Les blessures

Marie-Ève Beauchemin-Nadeau parle vite et bien. La femme de 27 ans sait où elle s'en va avec ses mots. Elle donne vite l'impression d'une première de classe, d'une surdouée à qui tout réussit.

En plus de se préparer pour sa deuxième participation aux Jeux olympiques, elle vient de terminer des études en médecine. Elle va peut-être commencer à pratiquer après les Jeux. Ce sera ça ou des études en philo. Elle hésite encore.

Sa formation en médecine lui a permis de comprendre encore mieux ce qui se passait au fil des ans avec son corps d'haltérophile. On ne lève pas 103 kg à l'arraché et 134 kg à l'épaulé-jeté sans que le corps se rebelle un peu.

En tout, elle a dû subir quatre opérations dans sa carrière, en plus de souffrir de problèmes de dos qui menacent encore de réapparaître si elle ne fait pas attention.

Quand son dos a flanché, au début de sa carrière, elle «s'entraînait dessus».

«C'était stupide. Je le savais, mais je ne voulais pas l'admettre. Je pense que la plupart des athlètes de haut niveau sont capables d'en endurer pas mal. En vieillissant, tu te rends compte que c'est contre-productif.»

Puis elle a eu un problème aux hanches, puis aux coudes, puis récemment ce sont les genoux qui ont lâché. «Je me suis déchiré un ménisque», dit-elle. Elle a dû recevoir des injections. Elle va mieux depuis, mais c'est certain qu'elle va arriver à Rio un peu fragile.

En haltéro, les compétitions « maganent » le corps. En tant que médecin, elle est bien placée pour le savoir.

«Je me dis que je suis peut-être mieux d'avoir mal un peu partout parce que je bouge trop que d'avoir mal un peu partout parce que je ne bouge pas assez. Au moins sur les plans cardiovasculaire et cérébral, c'est positif.»

Les blessures, les sous-sol, l'anonymat. Non, au Québec, on ne fait pas de l'haltérophilie pour le glamour.

On en fait pour, peut-être un jour, se retrouver aux Jeux olympiques, devant une foule muette qui vous fixe, seul sur la scène devant sa barre. C'est ce qui attend Marie-Ève Beauchemin-Nadeau. Et gageons que ce moment vaudra tous les sacrifices.